dimanche 23 octobre 2016

Chanson douce

Leïla Slimani

Gallimard, 2016

Prix Goncourt 2016

Mortelle, la nounou !

Est-il bien utile de rappeler le sujet de ce roman, qui occupe le devant de la scène médiatique et tourne tant sur les blogs? Je dirais simplement que j’étais au départ absolument réfractaire à sa lecture, tant l’idée d’une nounou qui assassine les enfants dont elle a la garde me révulsait. Certes, mes fils ont grandi, mais j’ai encore une babysitter - charmante (!) - pour le plus jeune d’entre eux...
L’enthousiasme général aidant, lorsque j’ai eu l’occasion de me le faire prêter, la curiosité l’a emporté. C’est néanmoins en retenant mon souffle, prête à refermer très vite le livre, que j’ai attaqué les premières phrases : « Le bébé est mort. Il n’a pas souffert. » Une scène de deux pages, qu’on lit en apnée. Mais une scène racontée à travers le regard clinique de la police. Pas de gros plan sur la mère en état de choc, pas d’étalage de gestes violents, pas de hurlements. Deux pages factuelles, puis le flashback : le recrutement de la nounou.

Tout le livre va alors s’attacher à relater les mois qui ont précédé, à présenter la nature du lien qui se construit entre la nounou, les parents et les enfants, tout ce qui va conduire Louise à commettre le geste effroyable. C’est ce que j’ai apprécié : Leïla Slimani ne se complaît pas dans la narration d’un fait divers sordide. Elle tente une approche à la fois psychologique et sociologique de l’événement. D’aucuns ont pu convoquer Les Bonnes pour regretter que Leïla Slimani n’aille pas aussi loin que Genet dans l’analyse de la domination de classe. Il me semble toutefois que cet aspect est bien présent et que l’auteur insiste sur les difficultés financières et la dépendance économique de la nounou à  l’égard de ses employeurs. Elle n’escamote pas toutefois la dimension affective qui intervient fatalement de par la place que tient ce type d’employée au sein d’une famille et qui brouille dangereusement les choses.
Car il y a beaucoup d’ambivalence : les parents - la mère en particulier - souhaitent que s’instaure un lien fort entre leurs enfants et la personne qui est à leurs côtés jour après jour ; mais ils craignent qu’elle prenne leur place. Ils sont heureux de pouvoir s’appuyer sur elle lorsque leurs enfants les étouffent ; mais elle doit savoir s’effacer lorsqu’ils se sentent disponibles pour leur progéniture. Ces employées doivent aimer les petits, mais pas trop s’investir, car le cordon se coupera tôt ou tard brutalement. Quant aux femmes, comme le souligne Leïla Slimani, elles sont soumises à la tension permanente que suscite leur désir de réussir sur tous les fronts - cela paraît un poncif, mais c’est  pourtant bien une réalité - être une professionnelle accomplie, une mère toujours attentive et une amante épanouie, sans jamais négliger la gestion domestique...

Leïla Slimani rend assez bien compte de tout ce qui se joue de part et d’autre. Et on comprend, tout en le redoutant, comment Louise en vient à tuer les petits: pour conserver  un rôle et une place que nul ne lui a jusqu’alors accordée et qu’elle croyait avoir enfin conquise. Car, évidemment, la domination de classe ne suffit pas à expliquer ce geste qu’elle commet dans un accès de désespoir qui l’entraîne au bord du gouffre. Leïla Slimani montre très habilement la manière dont la perception de Louise se distord peu à peu pour construire mentalement le monde qui lui convient. Jusqu’au point de rupture. 

Et si on peut regretter qu’elle appuie un peu trop sur la condition et l’histoire misérable de Louise, comme j’ai pu le lire ici ou là, il me semble qu’il fallait tout de même, pour rendre l’histoire crédible, dessiner les contours d’un personnage un peu hors normes : qu'on se rassure, toutes les nounous ne se séparent pas de la famille qui les emploie en provoquant un bain de sang !

Les billets de Clara, Joëlle, LaurePapillonPr Platypus...


dimanche 16 octobre 2016

La rentrée n’aura pas lieu

Stéphane Benhamou

Don Quichotte, 2016



Faut-il travailler pour vivre ? Sans doute, à condition de ne pas en mourir.

Que n’ai-je lu ce livre deux mois plus tôt ! Imitant ses protagonistes, peut-être, à l’heure qu’il est, serais-je encore au bord de ma piscine à bouquiner tout au long de la journée ! Car tel est bien ce qu’imagine Benhamou dans ce malicieux récit : quelque onze millions d’aoûtiens, au terme de leurs congés, renoncent à rentrer chez eux.
Stupeur et incrédulité gagnent le pays lorsque, le dernier week-end d’août, contrairement aux prévisions de Bison futé, les routes demeurent désertes. Les vacanciers auraient-ils massivement décidé de retarder leur retour de quelques jours ? Pourtant, dans les tout derniers jours du mois, nombreux sont ceux qui n’ont toujours pas repris leur poste... Début septembre, le pays est à l’arrêt et les enfants n’ont pas reparu dans les écoles...
Personnel politique, psychologues, journalistes, tous s’interrogent sur les raisons de cette désertion, qui suscite chez certains des réactions de rejet et de colère. La seule explication fournie par les intéressés est : « Je préférerais ne pas rentrer, pour l’instant ». 

Sans qu’il s’agisse d’une décision mûrement réfléchie, ces hommes et ces femmes ne trouvent tout simplement plus la force ni la motivation de retourner travailler. Ils veulent seulement prolonger ce moment de pause, hors cadre, hors tension, hors pression. Très vite, toutefois, il faut s’organiser pour tenir. D’autant que les réactions à leur égard ne se font pas attendre : menaces de licenciement de la part des patrons ou arrêt de l’alimentation des distributeurs d’argent dans les banques.  
Des médecins constatent que nombre de ces vacanciers présentent des symptômes relevant du stress au travail. Mais cela n’existe pas pour les patrons qui refusent catégoriquement de voir reconnaître le travail comme cause de souffrance et de pathologies. Pourtant, se heurtant à l’obstination des Aoûtiens, le Medef organise à travers la France une journée d’information visant à définir la question du stress au travail, pauvre initiative qui révèle bien vite son inanité...

Les salariés rentreront-ils finalement dans le rang ? Je vous laisse le soin de le découvrir en lisant cette fort plaisante fable. Certes, on n’y découvrira pas grand chose que l’on ne sache déjà : que la pression et la déresponsabilisation croissante des salariés ne produisent que souffrance et démotivation ; que le burn-out touche les personnes les plus investies dans leur métier, qu’il n’est autre qu’une manifestation « du désespoir et de l’épuisement de ceux qui avaient espéré s’épanouir aux heures de bureau »; que les « formations » ou les coachings proposés aux managers ne sont la plupart du temps que de la poudre aux yeux...

Il n’en reste pas moins que sous une forme légère et ludique, ce récit met en évidence la fièvre qui rongent le corps social et nous dit qu’il faudra bien trouver un traitement efficace avant que la maladie ne provoque des dégâts irréversibles

Nicole a également apprécié cette lecture


jeudi 6 octobre 2016

Police

Hugo Boris

Grasset, 2016



Vingt-quatre heures de la vie d'une femme (flic)

Mais pourquoi diable ce roman m’a-t-il déçue ? Enfin, déçue… le mot est sans doute un peu fort. Peut-être serait-il plus juste de me demander pourquoi il m'a laissée indifférente. Il avait pourtant tout pour me plaire, à commencer bien sûr par son auteur, dont le précédent titre, Trois grands fauves, était rien moins qu’exceptionnel. Par son sujet, ensuite : bien ancré dans notre société, comme je les aime, avec un traitement plutôt pertinent. Jugez-en plutôt : une jeune femme flic, Virginie, est chargée avec deux de ses collègues de conduire un clandestin dans un avion qui le ramènera dans son pays, où il paraît peu probable qu’il réchappe à la torture et à la mort. Mais la femme s’interroge sur le bien-fondé de sa mission. Doit-elle exécuter les ordres ? N’a-t-elle pas le devoir de tout faire, au contraire, pour soustraire cet homme au destin qui l’attend ?

La question vaut d’être posée. Et chaque individu d’ailleurs, à son niveau, devrait sans doute s’interroger sur le rôle qu’il joue dans une chaîne dont il n’est qu’un maillon et sur les conséquences de ses actes. Que la réponse qu’apporte Hugo Boris par le truchement de ses personnages manque de crédibilité m’importe peu. J’accorde à la littérature un pouvoir d’imagination sans bornes. Non, ce que j’ai le plus regretté, je crois, c’est de n’avoir pas retrouvé cette plume précise et élégante, cette puissance d’évocation qui faisait la splendeur de son précédent livre et qui donnait à ses personnages une présence et une force incroyables.
Bien sûr, on ne parle pas de grands hommes des siècles passés comme on met en scène des personnages contemporains ; on ne met pas dans la bouche d’un orateur tel que Danton les mêmes mots que dans celle d’un inspecteur de police plutôt bas du front. Néanmoins, j’ai regretté que le style de Boris dans ce livre manque à ce point de relief et de saveur.

Et puis, j’avoue que les atermoiements des policiers m’ont modérément passionnée. J’aurais préféré que l’auteur y attache un peu moins d’importance pour se concentrer davantage sur le personnage du clandestin auquel il n’accorde finalement qu’assez peu d’attention. J’attendais qu’il se passe quelque chose entre cet homme et Virginie, et je suis restée un peu sur ma faim. C’est dommage, parce qu’Hugo Boris est un bel écrivain et parce que ce sujet méritait, pour moi, un peu plus de densité.



dimanche 2 octobre 2016

La succession

Jean-Paul Dubois

L’Olivier, 2016



Père et fils, une relation sous haute tension

Au fil des années et des œuvres, Jean-Paul Dubois s’est imposé sur la scène littéraire, se constituant un public de fidèles, heureux de retrouver livre après livre sa voix singulière. Je ne prétends pas en faire partie, puisque de lui je n’avais jusqu’à présent lu qu’Une vie française, qui m’avait toutefois profondément touchée. J’avais fait ensuite une autre tentative qui s’était soldée par un abandon... Je conservais malgré tout l’envie de retrouver ce personnage et ce ton pour lesquels j’éprouve une sympathie naturelle. Pourquoi avoir attendu si longtemps, me direz-vous ? Je l’ignore, mais il est certain que la lecture d’avis extrêmement contrastés sur La succession a (r)éveillé ma curiosité. De quel côté allais-je donc pencher, puisque apparemment ce livre divisait les lecteurs en deux camps nettement opposés et que j’avais moi-même adoré un titre de l’auteur tandis que je m’étais mortellement ennuyée à la lecture d’un autre ?
D’autant que cette histoire de joueur de pelote basque expatrié en Floride, revenant en France à l’occasion du décès de son père ne m’apparaissait pas comme un sujet particulièrement sexy. Mais on sait bien qu’en matière de littérature, le sujet importe moins que son traitement... Jean-Paul Dubois allait d’ailleurs m’en apporter la plus brillante et la plus réjouissante des illustrations.

En deux mots, le héros de ce roman a choisi d’embrasser une voie professionnelle ayant généré l’incompréhension de son père, puis le délitement de sa relation avec lui, l’éloignement géographique ayant fini de consommer la rupture. Il faut dire que la famille dont est issue le narrateur apparaît pour le moins excentrique, et l’on comprend qu’il ait ressenti le besoin de s’en tenir à l’écart (mais quelle famille ne connaît pas sa part d’étrangeté ?). Une mère attentive mais peu affectueuse qui entretient avec son frère une relation fusionnelle, au point de former avec lui, au sein même de son foyer, un couple plus uni que celui qu’elle forme avec son propre mari ; un grand-père conservant dans le formol une lamelle du cerveau de Staline prélevée lors de l’autopsie pratiquée par ses soins ; et un père énigmatique et distant recevant ses patients en short. Bref, une somme d’individus restant somme toute assez étrangers les uns aux autres, parmi lesquels Paul n’arrive pas à trouver sa place. Ajoutez à cela que les membres de cette famille se suicident les uns après les autres, et vous aurez une petite idée de la force de caractère qu’il faut déployer pour conserver un semblant d’équilibre mental...

Par-delà ce délicat cheminement, c’est surtout l’histoire d’un homme qui remet ses pas dans ceux de son père, que nous narre Dubois, pour essayer enfin de comprendre celui qui lui était resté totalement insaisissable de son vivant. En retournant dans la maison de son enfance et en reprenant le cabinet paternel, Paul trouvera-t-il une forme de paix en découvrant qui était vraiment cet homme ? Comprend-on jamais qui sont ses parents et ce qu’ils ont essayé de nous transmettre ?

Jean-Paul Dubois explore ces territoires avec une élégance infinie. Le regard que porte son héros sur le monde est teinté d’un détachement empêchant toute forme de jugement. Pourtant, loin d’être froid et cruel, ce regard est au contraire teinté de tendresse et d’indulgence qui nous rendent chacun des personnages attachants, en dépit de leurs défauts et de leur maladresse, tandis que l’humour pince-sans-rire que l’écrivain manie avec brio tient constamment le tragique à distance. Un magnifique exercice d’équilibriste qui confère à ce roman la grâce que j’espérais y trouver. Nul doute qu’il ne s’agissait pas là de mon ultime rendez-vous avec Dubois…

Mior a écrit un très joli billet