Le sillon
Valérie Manteau
Le Tripode, 2018
Magma Tunis
Aymen Gharbi
Asphalte, 2018
Il faut croire que j’ai ces temps-ci des envies d’ailleurs : je viens de lire coup sur coup deux romans prenant le pouls d’une ville et s’attachant à en dessiner le visage. De Tunis à Istambul, j’ai donc effectué un voyage qui m’a emmenée de l’autre côté des rives de la Méditerranée.
Tunis est pour moi une ville chargée de souvenirs. Flous, lointains, ils ont la saveur particulière de ce qui se rattache à l’enfance et à cette période de la vie faite d’insouciance et pourtant constitutive de ce que nous sommes.
De Tunis, je ne garde réellement que l’image des souks, comme si elle ne se réduisait pour moi qu’à ce vaste marché. La description parfois précise des rues, des commerces, des habitants qu’en fait Aymen Gharbi est donc restée chez moi sans écho. D’autant que la ville a évidemment profondément changé depuis mon dernier séjour, dans les années 1980...
J’ai néanmoins aimé les passages où l’auteur en restitue les couleurs et l’atmosphère avec, m’a-t-il semblé, une certaine pertinence, s’attachant à en faire connaître des quartiers ou des bâtiments précis, comme le fort de l’îlot de Chikli.
J’ai en revanche été moins convaincue par l’intrigue et par les personnages, auxquels je ne me suis pas vraiment attachée. Mais les romans mettant en scène cette ville sont suffisamment rares pour que le lecteur qui a envie de la découvrir par ce moyen puisse se laisser tenter.
Quant à Istambul, je n’y suis jamais allée. Mais, bien entendu, cette ville mythique par sa situation géographique, son histoire et, d’après ce que j’en sais, sa beauté, en fait un espace littéraire privilégié. Pour autant, je crois que Le sillon m’a offert ma première occasion de faire connaissance avec elle.
Le lecteur est invité à accompagner la narratrice dans ses déambulations. Venue rejoindre son amant, elle occupe son temps entre cours de yoga, écriture et moments partagés avec des amis. Rien de vraiment consistant, laissant place aux errances mentales, aux questionnements qui la gagnent à mesure que le climat politique s’alourdit entre attentats et procès d’opposants politiques.
Ce récit restitue lui aussi parfaitement l’atmosphère, délétère, que connaît le pays, le poids d’un régime qui prive de plus en plus ouvertement son peuple de liberté. De ce point de vue, le livre de Valérie Manteau est assez réussi, d’autant qu’elle nous dévoile l’histoire de Hrant Dink, un journaliste ayant oeuvré pour la reconnaissance du génocide arménien qui a payé cet engagement de sa vie et qui est ici tout à fait méconnu.
Mais là encore, je suis hélas restée un peu à distance du texte, peut-être en raison du caractère un peu évanescent de l’héroïne ?
Peut-être aussi ma difficulté à entrer dans ces univers et dans ces lieux tient-elle au fait que mon imaginaire serait plutôt enclin à m’entraîner vers d’autres horizons, davantage du côté de l’Amérique latine ou de l’Inde...
Quoi qu’il en soit, pour qui voudrait s’approcher de ces deux cités, ces livres, encore une fois, ne manquent pas d’intérêt.
Et j’aimerais aussi souligner la qualité de ces ouvrages, auxquels leurs éditeurs, Le Tripode et Asphalte, ont apporté un soin particulier, avec de très belles couvertures, une élégante mise en page et, pour le second, des ajouts iconographiques bienvenus. Et vous le savez aussi bien que moi, l’objet que nous tenons entre nos mains n’est pas pour rien dans le plaisir de la lecture...