jeudi 2 mai 2024

Arctique solaire

Sophie Van der Linden
Denoël, 2024



On pourrait croire que le personnage campé par Sophie Van der Linden dans Arctique solaire est fictif tant cette artiste a été occultée de l’histoire de l’art - est-il nécessaire de commenter cette assertion…? Cet effet est encore accentué par la brièveté du texte qui ne s’attache à définir ni la psychologie ni le physique et à peine l’histoire de celle qui fut l’épouse d’un célèbre architecte suédois rencontré dans les années 1880. Le lecteur fait connaissance avec Anna Boberg tandis que celle-ci effectue un voyage en train à destination des îles Lofoten. Ce n’est pas le premier, tant s’en faut : hiver après hiver, Anna retourne se confronter aux paysages et à la lumière de ces terres peu hospitalières pour tenter d’en restituer l’abrupte beauté par la peinture.


Ce sont ses ambitions, ses doutes, ses questionnements, mais aussi ses souvenirs auxquels l’auteure du roman nous donne accès au fil des pages. Comment, par quels moyens donner à voir, à ressentir, l’extrême rudesse des éléments et l’intensité de la lumière ? 


Mais c’est aussi la solitude à laquelle elle doit faire face qui est au coeur de ce roman : une solitude nécessaire, désirée, préparée, mais qui se heurte néanmoins à la mélancolie suscitée par l’absence de l’être aimé. Une solitude choisie, mais constamment réévaluée, comme s’il fallait à Anna toujours et encore se justifier à ses propres yeux. Sous la plume de Sophie Van der Linden, Anna nous apparaît en proie à des sentiments ambivalents : une forte aspiration à mener un projet artistique et une forme de culpabilité d’avoir à se soustraire à son statut de femme et à son rôle d’épouse pour atteindre son objectif.


Plus que ses questionnements sur la peinture - somme toute assez classiques - ce qui m’a intéressée dans ce roman, ce sont les incertitudes d’Anna sur sa légitimité à se concevoir comme artiste, celles-ci étant bien entendu liées à des injonctions et des interdits sociaux. Le cas d’Anna Boberg est d’autant plus intéressant que son mari semble n’avoir jamais fait obstacle à son projet. Au contraire, il aurait favorisé les conditions permettant à sa femme de l’accomplir. Mais c'est Anna elle-même qui a intériorisé les conventions sociales au point de peiner à s’en affranchir. A cet égard, la dernière scène du livre est tout à fait révélatrice : la satisfaction qu’elle semble éprouver à se couler à nouveau dans son rôle d’épouse après des semaines de travail artistique et de détournement de toute préoccupation d’ordre domestique ne peut qu’interpeler. Doit-elle faire un choix et sacrifier l’une ou l’autre des composantes de son identité ou est-il possible de trouver un équilibre sans renoncer à l'une d'elles ? Pour nombre de femmes, me semble-t-il, la question est encore loin d’être résolue…



Anna Boberg en 1910

Montagne. Etude du pays du Nord
© Erik Cornelius / Nationalmuseum 2008

6 commentaires:

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    1. Je dois dire que je n'avais absolument jamais entendu parler de cette artiste. C'est l'auteure qu'il faut remercier ;-)

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  2. J'avais beaucoup aimé "De terre et de mer" de cette autrice, son attention aux paysages et aux caractères alors j'ai noté celui-ci pour plus tard, probablement lorsqu'il sortira en poche.

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  3. Je n'ai pas du tout entendu parler de cette artiste, ce qui n'a rien d'étonnant hélas. Bravo à l'autrice de l'avoir ramenée à la lumière.

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    1. En effet, remercions l'auteure. Mais combien d'autres attendent encore d'être (re)découvertes... ?

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