Philippe Manevy
Le Bruit du Monde, 2025
Pourquoi écrit-on ? Sans doute les raisons de ce geste obéissant à une nécessité intérieure sont-elles multiples, et pas toujours formulées de manière consciente. C’est pourtant la question que pose d’emblée Philippe Manevy et à laquelle il répond aussitôt : pour combattre l’effacement et l’oubli. Issu d’une famille ordinaire, l'auteur conserve peu de traces des êtres qui l’ont précédé et qui ont présidé à sa propre existence. Aussi s’efforce-t-il de remonter les branches d’un arbre généalogique dont les ramifications se révèlent rapidement ténues. Quelques disparitions prématurées ayant coupé court à toute descendance, de lourds silences autour de destinées jugées peu conformes aux valeurs familiales et le peu de documents que laissent les plus humbles confortent l’auteur dans sa démarche autant qu’ils le contraignent à combler les blancs.
Ce sont ainsi les destinées de quatre générations qu’il retrace, celles d’« une famille sous trois Républiques (1872-2025) ». Un siècle et demi d’histoires individuelles et d’Histoire avec un grand H. Une période qui connut plus de changements que jamais auparavant, ou plutôt dont l’accélération fut telle que l’écart que nous ressentons avec nos grands-parents est peut-être plus important que celui que ces derniers connurent à l’égard de leurs propres aïeux.
S’il restitue une part de l’atmosphère des époques qui se sont succédé - la Grande guerre, le Front populaire ou la Libération - c’est surtout l’identité d’une ville que l’auteur dévoile, celle de Lyon où s’ancrent ses racines. En relatant l’histoire des différents membres de sa famille c’est en effet la géographie, physique autant que sociale, de la cité qu’il laisse transparaître. Ce faisant, c’est peut-être le temps révolu de son enfance que l'auteur cherche à retrouver, tant son récit se teinte d’accents de nostalgie. Il faut dire qu’en s’installant au Canada, il a de longue date mis quelques milliers de kilomètres entre lui-même et sa ville natale. Mais aussi entre lui-même et sa famille.
S’il s’efforce avec ce texte de la retrouver, c’est la partie relative à ceux qu’il a connus qui m’a semblé le plus réussie. En faisant appel à ses souvenirs personnels, en se remémorant les êtres qu’il a aimés, en confessant les regrets qu’il peut porter en lui de n’avoir pas toujours su leur témoigner son attachement, son récit se fait plus sensible et habité. Philippe Manevy touche alors le lecteur en plein coeur.
Mais ce texte empreint de sensibilité offre également une autre dimension - que laissaient deviner les premières lignes qui le constituent. Il s’enrichit en effet d’une réflexion sur la littérature, et en particulier sur les récits intimes dont l’intérêt - et la légitimité - sont aujourd’hui si souvent contestés. Il récuse fort habilement le prétendu narcissisme dont notre époque serait l’objet en quelques pages parfaitement argumentées. Mais c’est bien l’entièreté de son récit qui nous démontre combien l’expérience d’un individu peut atteindre une dimension plus universelle dans laquelle le lecteur peut se reconnaître, et permettre ainsi à ce dernier de poser des mots sur ce qu’il ne ressentait jusqu’alors que confusément. Toute la grandeur de la littérature se trouve précisément là.
La rentrée de janvier s'annonce riche, comme c'est souvent le cas. Alors que j'ai à peine effleuré celle de septembre. C'est frustrant.
RépondreSupprimer