Harold Cobert
Les Escales, 2025
La couverture annonce d’emblée la couleur : « Quand Hitler interdisait Mein Kampf », proclame-t-elle presque à la manière d’un slogan. Ces mots, on les lit avant même de découvrir le titre et le nom de l’auteur. Etaient-ils nécessaires ? Je dois bien admettre que, pour ma part, ils ont suscité ma surprise, et peut-être sans eux ne me serais-je pas intéressée à ce roman. Car j'ignorais complètement qu'Hitler ait pu interdire son propre livre, et il fallait donc entendre ce « procès Mein Kampf » d’une toute autre manière que celle que l’on pouvait imaginer.
Car ce procès est celui que le Führer intenta lui-même - même si c’est un peu plus compliqué que cela - à l’éditeur français qui, bravant l’interdiction que l’auteur en avait faite, assura la publication de sa traduction dès 1934. Or si ce livre était pourtant disponible dans de nombreux pays, Hitler tenait fermement à ce que les Français n’y aient en revanche pas accès. Pour quelle raison ? Parce que de nombreux passages qui clamaient sa haine de notre pays contredisaient les déclarations pacifistes qu’il multipliait depuis qu’il était devenu chancelier. On connaît la suite.
Ce qui est particulièrement intéressant à la lecture du texte d’Harold Cobert, c’est de découvrir l’étonnant attelage qui présida à la publication en France de Mein Kampf. L’extrême droite et la Ligue internationale contre l’antisémitisme s’allièrent en effet pour mener ce projet à bien, tous voyant dans ce texte à valeur programmatique un terrible danger, même si les uns entendaient alerter l’opinion sur la menace que faisait peser Hitler sur la souveraineté nationale tandis que les autres craignaient les conséquences d’un antisémitisme virulent. Le gouvernement français, croyant quant à lui oeuvrer à la paix, céda aux injonctions de l’Allemagne et manoeuvra pour tenter d'éviter à la fois le procès et les tensions diplomatiques, et s’entêta dans un aveuglement qui permit au chancelier d’accomplir son sinistre projet.
En faisant le choix du roman, Cobert rend toute l'affaire extrêmement accessible, ce qui n'est pas la moindre des qualités d'un texte que l'on aurait peut-être davantage attendu sous une forme documentaire. Outre l’intérêt du rappel historique, c’est bien l’attitude des différents protagonistes qui doit retenir notre attention. A l’heure où l’antisémitisme ne cesse de croître, où les situations de tension internationale et de guerre se multiplient, où les populismes et l’extrême droite se développent et nouent des alliances au-delà des frontières, les événements du siècle passé résonnent d’un lugubre écho. Tandis que les fake news, les provocations et autres vociférations se multiplient, la plus grande vigilance et la plus grande lucidité sont de mise. Ou devraient l’être, si nous voulons éviter le pire.
Le choix du roman ne pâti donc pas à cet éclairage.
RépondreSupprimerPas le moins du monde ! Après, il faut adhérer au principe du passage à la fiction pour traiter ce type de sujet. Mais dès lors que c'est le cas, le texte associe parfaitement plaisir et accessibilité.
SupprimerIl me semble avoir vaguement entendu parler de cette interdiction, mais sans plus. Une lecture qui me rappelle "dans le jardin de la bête" qui décryptait aussi les manoeuvres des années 30 pour cacher la vraie nature du projet nazi. Je note.
RépondreSupprimerEn tout cas, j'ai assisté à une rencontre avec l'auteur hier, et personne dans l'assemblée n'en avait connaissance... C'est un fait qui reste extrêmement peu connu. Etonnamment.
SupprimerJ'ignorais aussi ces faits mais je t'avoue que j'ai moyennement envie de me replonger là-dedans... L'an dernier j'ai lu par contre le petit essai d'Olivier Mannoni "Traduire Hitler" où il élabore toute une réflexion nourrie par sa traduction de Mein Kampf (la dernière version accompagnée des éclairages des historiens) qui débouche sur une analyse fine de l'instrumentalisation du langage. C'est passionnant et bourré d'échos, tu imagines...
RépondreSupprimerJustement, Cobert le cite en exergue et en annexe de son livre. J'ai eu hier l'occasion de participer à une rencontre organisée par Les Escales avec l'auteur et, naturellement, nous avons amplement évoqué les problématiques que nous connaissons aujourd'hui. C'est inévitable, et c'est précisément l'un des intérêts de ce roman.
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