jeudi 11 avril 2024

Une femme de mauvaise vie

Virginie Roels
Robert Laffont, 2024



Connaissez-vous Maria Tarnowska ? Il est probable que, tout comme moi, vous n’en ayez jamais entendu parler avant la sortie de ce roman. Sans doute n’en serait-il pas de même si Visconti avait réalisé le film qu’il projetait de tourner avec Romy Schneider dans le rôle de cette comtesse russe à la tragique destinée. C’est bien malgré elle que celle-ci connut son heure de gloire, en 1910, lorsqu’elle fut traduite en justice lors d’un procès retentissant qui fit la une de la presse internationale et attira les foules - jusqu’à Sarah Bernhardt qui fit le déplacement à Venise pour y assister.


C’est que son histoire avait de quoi exciter les plus bas instincts… et permettre de s’offrir une posture morale à peu de frais. Pensez donc ! Une femme qui aurait guidé la main de l’un de ses amants pour assassiner celui qu’elle s’apprêtait à épouser en secondes noces, une femme totalement assujettie à l’opium, une femme dénuée de morale au point de se laisser photographier dans les poses les plus lascives… 


Le livre s’ouvre brièvement sur les injures qu’elle reçoit ainsi que sur les abjects examens gynécologiques qu’elle subit préalablement à l’ouverture de son procès. Mais Virginie Roels nous ramène aussitôt aux premières années de sa vie, lorsque Maria n’était encore qu’une adolescente. Sa découverte fugitive et inopinée du plaisir, l’accident qui s’ensuivit et sa passion naissante pour Vassili, un ami de son frère qui fréquenta assidument son chevet durant sa convalescence et qu’elle finit par épouser, forment peut-être le noeud à l’origine de sa chute. Cela n’a rien d’anecdotique : l’une des spécificités du procès de Maria fut la place qu’y tinrent pour l’une des toutes premières fois les expertises psychiatriques. Mais n’anticipons pas.


Le doux Vassili se révélera un mari distant et, surtout, à l’affût de plaisirs toujours plus sulfureux, livrant Maria au désarroi le plus profond. Pour le reconquérir, elle ne trouvera d’autre voie que de l’accompagner dans ses errances nocturnes. Ainsi la romantique jeune femme amorcera-t-elle un basculement qui ne connaîtra pas de retour. C’est ce scabreux cheminement que restitue l’auteure, la violence des sentiments bafoués, le corps avili, l’oubli de soi dans les limbes de l’opium. Maria n’a-t-elle pas été entraînée dans un jeu auquel elle n’avait guère été préparée et qu’elle ne maîtrisait pas le moins du monde, elle qui avait du mariage une vision bien éthérée ? N’a-t-elle pas été la victime expiatoire d’une société dominée par des hommes soucieux de satisfaire leur désir ? 


Le regard que nous posons aujourd’hui sur une telle histoire est évidemment bien différent de celui qui prévalait au début du siècle dernier. Pour autant, je n’ai pas ressenti une grande empathie à l’égard de cette femme. Est-ce en raison de l’entrée en matière sur ses années de jeunesse que j’ai trouvée un peu longue, retardant légèrement ma pleine adhésion au roman ? Ai-je été gênée par ce qui m’est apparu comme une absence de libre-arbitre entraînant la complète soumission de Maria aux événements et aux hommes qui la convoitaient ? Sans doute. Mais avait-elle seulement les moyens psychiques, mais aussi économiques, de prendre le dessus ? C’est sans doute plutôt en ces termes que nous nous interrogerions aujourd’hui - comme nous y invite Virginie Roels avec pertinence à travers ce roman.




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