lundi 10 mars 2025

La guerre par d’autres moyens

Karine Tuil
Gallimard 2025


Karine Tuil, j'ai déjà eu l'occasion de l'affirmer, maîtrise comme personne l’art de la construction romanesque. Entrer dans l’un de ses livres, c’est être assuré de se voir happé par un récit captivant mettant au jour les mécanismes qui régissent notre société. Déterminismes, phénomènes de domination, communautarismes, terrorisme, radicalisation… l’auteure n’en finit pas d’interroger les mouvements de fond qui travaillent le corps social pour observer la manière dont ils impactent l’existence de chacun.


Je dois toutefois avouer que j’ai mis un peu plus de temps qu’à l’accoutumée à entrer dans son dernier roman : les états d’âme d’un ex-président de la République désoeuvré, en mal de statut social et aux prises avec l’alcool ne constituaient pas pour moi un sujet de choix. Pas plus que ne me passionnait son irrésistible attrait pour une actrice à la plastique avantageuse de vingt-cinq ans sa cadette. Ajoutons à cela l’affliction de l’épouse évincée, une romancière jouissant d’une certaine notoriété, et j’ai eu un instant l’impression de sombrer dans une dimension people ! D’autant qu’on est très vite tenté de mettre des noms sur les protagonistes - même s’ils se révèlent composites et s’ils convoquent plusieurs personnalités. Où Karine Tuil voulait-elle donc en venir ?


Il faut avoir passé le premier tiers du roman pour la voir enfin entrer dans le vif de son sujet et mettre en place sa mécanique implacable. Au centre du dispositif : un livre. Ecrit par l’ex-épouse, bientôt adapté au cinéma, avec la rivale en guise d’interprète principale. Son sujet ? Les violences faites aux femmes. Viennent alors s’agréger quelques personnages secondaires - un réalisateur autoritaire mais charismatique (ou l’inverse ?), la fille du président, une militante des droits des femmes parfaitement représentative de la génération Z, ou encore une nymphette laissée pour compte de l’industrie cinématographique. Nous voilà ainsi parés pour plonger au coeur de l’ère post Metoo et poser la question du féminisme. 


Tout d’un coup, c’est sûr que j’étais plus dans mon élément ! Et ce qui se révélait particulièrement intéressant, c’est que l’auteure n’hésitait pas à se colleter avec la complexité du sujet. Aujourd’hui, le féminisme est en effet traversé par différents courants structurés autour d’une forte dimension générationnelle qui, pour le dire avec pudeur, ne sont pas toujours très compatibles entre eux. Or, Karine Tuil parvient à présenter ces différentes sensibilités, à les faire dialoguer, et intègre même le point de vue masculin - avec tous les paradoxes, les ambiguïtés… et les angoisses que peuvent désormais connaître ces messieurs ! Chacun et chacune se positionnera plus volontiers du côté de l’un ou l’autre des personnages, mais je sais gré à l’auteure d’être restée en surplomb.


Le récit nous offre tout un enchaînement de situations, de prises de parole et de décisions qui forment un extraordinaire écho à tout ce que l’on peut lire dans la presse, découvrir sur les réseaux sociaux, connaître à titre personnel et, bien entendu, aux réflexions que nous sommes tous amenés à avoir. C’est ainsi que l’on retrouve une Karine Tuil fidèle à elle-même, qui nous aura bel et bien proposé un nouveau page-turner à la croisée de l’intime et du social, en prise directe avec les préoccupations de notre temps. 


La parution de ce livre nous ayant offert à Nicole et moi-même l'occasion d'une nouvelle lecture commune, je vous invite à découvrir sa chronique ici.








3 commentaires:

  1. Lecture intense oui, je te rejoins sur l'entrée en matière un peu laborieuse mais ça n'a duré que 3 ou 4 chapitres pour moi, ensuite j'étais ferrée 🙂

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  2. J'ai hâte de le lire, j'aime beaucoup la plume de cette auteure.

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  3. J'ai lu "Les choses humaines" sans être particulièrement emballée. Je n'ai pas eu envie de lire autre chose d'elle, je crois que ce n'est pas une autrice pour moi.

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