samedi 20 mai 2023

Boxer comme Gratien

Didier Castino
Les Avrils, 2023



Faut-il que j’apprécie un auteur, et que je lui fasse confiance, pour lire un roman sur… un boxeur ! Parce que si je peux parfois essayer d’aller vers des domaines qui me sont complètement étrangers, je ne saisis absolument pas l’intérêt ni le plaisir que l’on peut prendre à voir deux types se démolir la figure. C’est même quelque chose qui me rebute.


Je me doutais bien toutefois que Didier Castino ne nous proposerait pas une hagiographie. Le connaissant, je supputais plutôt une histoire aux accents sociaux, le portrait d’un homme qui avait dû user de ses poings pour se faire une place et un nom.


Le narrateur de cette histoire ne semblait pas beaucoup plus enclin que moi à s’emparer d’un tel sujet. C’est un ami qu’il a en commun avec le champion déchu qui le pousse à le rencontrer afin qu’il écrive le livre que celui-ci « mérite ». Car le narrateur est un écrivain marseillais - tiens, comme l’auteur - portant le prénom d’Hervé - comme celui des précédents romans de Castino… 


C’est dans un mobil-home tenant lieu de snack-bar établi dans les environs d’une zone commerciale qu’un rendez-vous est organisé, juste à côté de la caravane où vit désormais le boxeur dont le nom reste encore bien connu des Marseillais - même si les plus jeunes se révèlent incapables de citer ses exploits. L’environnement donne immédiatement le ton : un lieu sub-urbain, désincarné, sans âme, où Hervé ne se sent pas particulièrement à son aise. Un homme  immense, aux mains comme des battoirs, au nez large et écrasé approche, le pas traînant. On reconnaît encore Gratien Tonna malgré les années. 


L’échange s’amorce abruptement : d'emblée, Tonna évoque « le mec [qu’il a] tué ». Démarre alors un dialogue au cours duquel Hervé l’amène à parler de son enfance en Tunisie. Gratien traîne avec quelques copains dans les rues, sur la plage. Il n’apprendra pas à lire ni à écrire, mais il aime jouer avec ses poings, ce qui lui vaut d’être repéré par un entraîneur. La famille quitte La Goulette et accoste à Marseille, où Gratien entame une carrière de boxeur. Les titres s’enchaînent, la célébrité arrive rapidement, avant la chute. Une histoire somme toute banale et bien connue.


Ce qui fait l’attrait de ce récit, c’est la confrontation entre la parole de Tonna - que Castino a réellement rencontré - et celle d’Hervé. On découvre ainsi un homme simple, généreux, sincère, qui donnait sa confiance sans songer qu’elle pouvait être trahie sur l’autel des gains immenses générés par les matchs. Mais en redonnant vie à la légende, Hervé en révèle aussi progressivement la face plus sombre. Castino entremêle les deux points de vue, mettant ainsi en lumière la cruauté d’un milieu se nourrissant des espoirs et de l’état d’exaltation de tout jeunes hommes bientôt broyés par un système qu’ils méconnaissent.


J’ai retrouvé dans ce texte ce que j’avais aimé dans les précédents : ce regard à la fois aigu, attentif et empathique, servi par un style précis, vivant et, pour reprendre les mots très justes de l’éditeur, « vibrant de colère sociale ». Certes, de par son objet, ce roman m’a moins touchée que les précédents, Rue Monsieur-le-Prince en tête. Mais le talent de l’auteur ne se dément pas, aussi continuerai-je de le suivre jusque sur les sentiers les plus inattendus.



 




9 commentaires:

  1. Je me sens très éloignée de ce sujet-là, rebutée aussi, mais je retiens qu'il faut absolument lire l'auteur.

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    1. Oui, pour une première rencontre, le sujet de la boxe n'est peut-être pas l'idéal ;-)

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  2. Oui, il y a des auteurs qui nous font lire de ces trucs... Pire qu'une relation passionnément amoureuse ;-)

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    1. :-D D'autant que ce genre de passion se dément rarement...

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  3. Pas fan de boxe non plus, je choisirai un autre titre de l'auteur pour le découvrir.

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  4. Comme Aifelle et Alex, je retiens l'auteur, mais avec un autre sujet...

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    1. Mais oui : les manifestations étudiantes et la mort de Malik Oussekine avec "Rue Monsieur-le-Prince", mon préféré, l'histoire d'un ouvrier et le travail en usine avec "Après le silence" ou l'histoire d'un couple sur fond social en déliquescence. Mais c'est toujours beaucoup plus que cela.

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  5. C'est le nom de l'auteur que je note. Pas fan de boxe, ça ne me dérangerait cependant pas de lire un bouquin sur le thème (il y en a un peu dans le dernier Lemaitre)

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