lundi 4 avril 2022

Les derniers jours des fauves

Jérôme Leroy

La Manufacture de livres, 2022




Arrivée à la fin du premier chapitre de ce polar, je me suis demandé si je n’allais pas le refermer. Définitivement. Parce que je veux bien qu’on écrive des romans à clé, mais quand on colle à ce point au réel, autant y aller franco et appeler un chat un chat. Certes, Emmanuel Macron est ici une femme, Nathalie Séchard, et c’est elle qui a vingt-cinq ans de plus que son mari, mais sinon tout y est : elle a été élue au soir du 6 mai 2017 en pulvérisant l’antagonisme droite-gauche, sa principale adversaire est la fille d’un ancien leader d’extrême-droite qui lui a légué son parti et le pays est confiné en raison d’une grave crise sanitaire. Sans oublier les Gilets Jaunes qui ont plombé le quinquennat. On ne peut pas dire qu’on soit dans une oeuvre de pure imagination !

Mais 40 pages sur 430 n’étant pas un échantillon suffisant, j’ai décidé de poursuivre. Je suis donc entrée dans ce nauséabond cloaque que sont la vie politique et la sphère du pouvoir dépeintes par Jérôme Leroy. Ça allait être saignant…


Nous sommes un an avant la fin de son mandat, et Séchard annonce qu’elle ne se représentera pas. Pour lui succéder, deux personnalités émergent : à ma droite, Patrick Bauséant, ministre de l’Intérieur, ancien para qui s’est naguère acoquiné avec l’OAS et qui a fort opportunément tourné le dos à ses petits amis nationalistes pour rejoindre les rangs de la Nouvelle Société ; à ma gauche, Guillaume Manerville, ministre de l’Ecologie, l’idéaliste faisant office de caution morale du gouvernement. 

Cette nouvelle perspective émoustille vivement le premier qui va se montrer prêt à tout - mais vraiment à tout - pour évincer son rival. C’est là qu’on entre de plain-pied dans le polar et que je me suis mise à tourner les pages de manière de plus en plus frénétique jusqu’au dénouement. Ça trucide à tour de bras, à l’arme blanche comme au bazooka, en plein coeur de Paris comme dans des bleds paisibles de province. Un vrai festival !


Ça fait un moment que je ne me fais plus beaucoup d’illusions sur la probité de notre classe politique, mais j’avoue que je ne pensais pas que nous avions atteint le niveau dépeint ici. Franchement, à lire Leroy, on n’a pas grand chose à envier, en termes de méthode, à ce que décrit par exemple Benoît Vitkine dans Les loups, qui retrace une campagne présidentielle fictive en Ukraine. Non pas que nous soyons forcément plus scrupuleux, mais nous avons quand même des institutions qui limitent plus ou moins le franchissement de certaines lignes.


Peut-être suis-je encore trop naïve, mais faire de l’espace politique un western sans foi ni loi me semble pour tout dire un peu facile, un peu dangereux, et carrément populiste. Si nous étions dans la pure fiction, ce canardage débridé ne me gênerait pas plus que ça. Mais considérant ce que je soulignais au début de ma chronique, l’auteur multipliant les effets de réel, on ne peut s’empêcher de penser que celui-ci s’attache à nous renvoyer une image de la situation que nous vivons. D’où mon trouble. 


C’est aussi sur le discours du « tous pourris » qu’on fait le lit des hommes providentiels dont on sait tout le danger qu’ils représentent. Celui qui surgit à la fin du roman réussit à faire passer la blonde du Bloc Patriotique pour une inoffensive agnelle… Comme quoi, même si le choix semble pour nombre d’entre nous de plus en plus épineux, voter reste un geste déterminant.



Nicole est beaucoup plus enthousiaste que moi.


8 commentaires:

  1. Je comprends ton trouble, ce n'est pas le genre de livre que je lirais en ce moment. Je n'ai pas besoin d'être écoeurée encore plus que je ne le suis ..

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  2. Mais Delphine, il ne faut pas se tromper, c'est bien de la politique-fiction et évidemment le genre s'appuie sur des éléments qui font que le lecteur est amené à penser que ça pourrait être vrai. Jérôme Leroy est un spécialiste du noir, et un fin connaisseur des arcanes de l'extrême droite. Thomas Bronnec traitait les mêmes ingrédients dans son triptyque (cf mes billets si tu veux en savoir plus). Je comprends que cette lecture puisse mettre mal à l'aise mais ça reste un exercice de fiction (même si les liens entre les uns et les autres sont plus étroits que ce que l'on peut penser de l'extérieur, l'auteur ayant longuement enquêté dessus comme on a pu le lire dans les différents articles qui lui ont été consacrés ces dernières semaines... effectivement, il ne faut pas être trop naïf ;-) )

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    1. Je n'ai aucun problème avec la politique-fiction, qui peut être très intéressante. Mais là, Leroy prétend vraiment tendre un miroir. Je parle de Vitkine dans mon billet : il invente totalement ses personnages, et même l'élection qu'il évoque ne correspond pas à un scrutin réel. Et c'est justement cette distance prise qui permet d'aller assez loin dans l'exercice d'exploration de la situation que connaît l'Ukraine. Il montre extrêmement bien les liens entre les différentes parties prenantes, et aide vraiment à comprendre les enjeux et les mécanismes à l'oeuvre. Là, c'est très différent, pour moi. Même si Leroy a changé tous les noms - voire les sexes - tout est archi-transparent et il établit ainsi une espèce de connivence avec son lecteur. C'est comme s'il lui disait "bon, j'ai tout changé, mais toi et moi on n'est pas dupes, on sait de quoi on parle. Et je vais te montrer l'envers du décor". Et, encore une fois, je trouve ça très gênant.

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  3. Il est dans ma PAL depuis peu, et ce sera une de mes prochaine lecture. Affaire à suivre.

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  4. Je comprends ce que tu ressens... si ça renvoie l'idée de "tous pourris" c'est effectivement gênant, et je préfère rester un peu naïve et croire que certains, du moins dans les scrutins locaux, "y vont" pour de bonnes raisons, et pas uniquement par soif de pouvoir ou d'argent.

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    1. C'est en tout cas ce que j'ai ressenti (à part l'idéaliste, évidemment, mais là on tombe dans l'excès inverse). En fait, je ne suis pas sûre que cela soit le propos de l'auteur, mais je trouve vraiment qu'il a raté son coup (et ce, même si le roman se lit très bien).

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