Gallimard 2025
Ce livre, j’aurais parfaitement pu passer à côté. Parce que la première pensée qui m'a traversé l'esprit en le voyant parmi les innombrables titres de la rentrée, c’est « tiens, encore un qui profite de sa notoriété pour se faire publier ». Mais comme je l’aime bien, ce jeune journaliste, je suis quand même allée y voir d’un peu plus près.
Première surprise, il ne s’agissait pas d’un roman. Gasnier nous proposait un récit qui ne semblait pas si éloigné de son métier, dans la mesure où à partir de quelque chose qui pourrait s’apparenter à un fait divers - un accident de la circulation -, il se proposait d’interroger les conditions de sa survenue. Et puis cet événement ne lui était pas étranger, puisque la victime en avait été sa mère. Gasnier promettait, dix ans après les faits, de poser sur l’épisode le plus dramatique de son existence un regard qu’il voulait débarrassé de sa douloureuse dimension intime pour l’analyser avec l’exigence propre à son métier. Un exercice courageux qui pouvait sembler à première vue hors de portée...
En 2012, en plein coeur de Lyon, sa mère, qui roulait à vélo, était percutée par un jeune motard effectuant une roue arrière. Son état ne laissait pas place à l’espoir : elle décéderait après quelques jours de coma. L’enquête révèle rapidement que le jeune Saïd n’était pas le propriétaire de la grosse cylindrée qu’il chevauchait, qu’il n’avait pas le permis pour la conduire et qu’il était sous l’emprise du cannabis. De quoi nourrir chez les proches de la victime une colère et une rancoeur bien légitimes. Pour autant, Paul Gasnier refuse de céder à l’instinct du talion et s’efforce de tenir sa haine à distance.
Dix ans se sont écoulés. Dans le cadre de son activité professionnelle, il couvre les meetings politiques, en particulier ceux de l’extrême droite. Quelques mois avant les élections présidentielles, il assiste à une allocution de l’un de ces sinistres bateleurs. Alors que celui-ci évoque « la racaille » qui terrorise les honnêtes gens, la foule l’acclame. Ce déversement d’hostilité résonne en lui d’un douloureux écho. Il aurait toutes les raisons de reprendre cette haine à son compte : ce que cet homme dénonce - la violence engendrée par un délinquant récidiviste - il l’a vécu dans sa chair. Mais voir récupérés les drames tels que celui qui l’a touché pour en faire le lit de discours corrosifs et nauséabonds lui répugne. Sa décision est prise : il s’agirait désormais d’écrire son histoire pour dresser un tableau juste de ce qui avait pu conduire à cet instant funeste afin d’y déceler ce qu’il traduisait de l’état de notre pays.
Gasnier est retourné sur les lieux où se sont déroulés les faits, a rencontré des témoins, notamment l’avocat et la soeur de Saïd, il s’est efforcé de retracer l’histoire de l’adolescent que celui-ci avait été, de cerner son environnement. C’est un quartier qu’il a également ausculté, mettant en lumière son évolution urbaine, architecturale autant que sociale. Dans cette démarche, il ne s’agit nullement de justifier, mais de comprendre comment les différentes forces en présence se frottent, se télescopent, à la manière de plaques tectoniques dont on ne perçoit pas les mouvements mais qui finissent pourtant par provoquer des catastrophes.
Ce texte force le respect tant il est empreint d’intelligence et de dignité. L’objectif avoué de ce projet était pour son auteur de pouvoir vivre en paix. J’espère qu’il l’a atteint. Pour la lectrice que je suis, cette parole posée, ce refus de se laisser dominer par ses pulsions, ce choix de la lumière et de l’intelligence constituent une salutaire bouffée d’oxygène.
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