Jonathan Coe
Gallimard, 2025
Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle
N’était le court prologue sur lequel s’ouvre le récit, on entrerait dans ce roman comme dans n’importe quel autre de ceux qu’a signés Jonathan Coe : en faisant connaissance avec quelques personnages parfaitement campés, des Anglais ordinaires bien ancrés dans la réalité sociale et politique de leur pays.
Après ses études de lettres, faute de débouchés, Phyl a dû retourner chez ses parents. Elle s’assure un minium de revenus dans un restaurant de sushis de l’aéroport d’Heathrow, où elle découpe du poisson à longueur de journée. Mais en son for intérieur, elle se rêve écrivain. Et pourquoi pas commencer par un cosy crime, histoire de se faire la main avec le genre le plus en vogue outre-Manche ?
Ses horizons littéraires vont pourtant s’élargir lorsque surviennent Chris, un vieil ami de sa mère, et sa fille adoptive Rashida, avec laquelle Phyl se lie rapidement. Pourquoi ne pas s’essayer plutôt à la dark academia ou à l’autofiction, lui suggère-t-elle. Chris, quant à lui, est l’auteur d’un blog dans lequel il s’efforce de mettre à mal les positions ultra-libérales dont l’audience ne cesse de s’étendre et gangrènent le débat politique, menaçant à ses yeux la démocratie. A l’heure de l’entrée en fonction de la nouvelle Première Ministre Liz Truss, Chris serait même sur le point de révéler l’existence d’un rapport secret dévoilant les véritables intentions des partisans néo-libéraux de la nouvelle locataire du 10 Downing Street en matière de système de santé, promis à complète privatisation. Alors que Rashida reste chez Phyl et ses parents, Chris se rend à un séminaire organisé par une poignée de néo-conservateurs, où il ne tarde pas à être retrouvé assassiné…
Ainsi, dans le contexte politique post-brexit d’une Angleterre gagnée par les discours ultra-virulents des néo-libéraux, Jonathan Coe bascule-t-il dans une enquête s’inscrivant dans la plus pure tradition du roman policier à l’anglaise. Il empruntera pourtant d’autres voies narratives pour remonter ensuite le fil du temps et expliquer la manière dont le néo-conservatisme plonge ses racines dans le thatcherisme d’hier, et refermer la boucle de son enquête politico-policière.
La construction de ce roman est brillantissime. Dans le fond comme dans la forme, Coe n’a de cesse d’interroger le rapport qu’entretient la production d’un discours - qu’il soit oral et de nature politique ou écrit et d’essence littéraire - avec le réel. A l’heure de l’inversion complète des valeurs, où en Angleterre comme partout ailleurs, aux Etats-Unis ou en France, s’érigent en défenseurs de la liberté et de la démocratie ceux qui en sont les plus dangereux fossoyeurs, Coe s’amuse à brouiller les pistes et entraîne son lecteur dans un jeu de faux-semblants qu’il maîtrise à la perfection. Observateur fin et pertinent, il brosse le portrait d’une Angleterre dont les turpitudes ressemblent bien tristement à celles que connaît notre pays. On ne saurait trop le remercier de pas renoncer pour autant à s’armer d’humour. Pour mieux atteindre sa cible. Et nous éviter de sombrer dans la consternation et l’abattement.
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