jeudi 8 juin 2023

La vie est à nous

Hadrien Klent
Le Tripode, 2023



Si vous aviez loupé l’épisode précédent, je vous en rappelle les grandes lignes : après avoir publié un essai prônant la réduction du temps de travail à quinze heures hebdomadaires, l’économiste nobélisé Emilien Long est poussé à se présenter aux élections présidentielles de 2022… qu’il parvient contre toute attente à remporter. Paresse pour tous relatait les deux ans de campagne présidentielle qui avaient précédé cette victoire.


Trois ans se sont maintenant écoulés. Entouré de son équipe gouvernementale, Emilien a mis son programme en œuvre - non sans se heurter à un certain nombre de résistances. L’enjeu désormais est double. Le premier est de faire adopter par l’ONU une résolution engageant les autres Etats à abaisser à leur tour le temps de travail sans réduction de salaires, pour tout à la fois lutter contre la pauvreté en réduisant les inégalités, et agir en faveur de l’environnement en rejetant le dogme de la croissance. Le second est de faire approuver par référendum une révision de la Constitution française afin de mettre en place un système de co-présidence de la République à six membres dans le but de dépersonnaliser le pouvoir et de mettre définitivement fin au mythe de l’homme providentiel. L’un et l’autre de ces projets vont être soumis au vote à vingt-quatre heures d’intervalle. Le roman relate la semaine qui précède ces échéances.


Si j’avais beaucoup apprécié Paresse pour tous, j’ai trouvé ce deuxième volume plus réussi encore. L’auteur entre en effet dans le détail des conditions concrètes rendant possible et réaliste une mesure qui, aux yeux de certains, peut sembler utopique, voire totalement insensée - les chantres du libéralisme économique, on s’en doute, mais, plus largement aussi, toute une partie de la population encore imprégnée de l’idée que le travail et la consommation constituent le cœur de l’existence. Il s’agit donc de déconstruire ce qui n’est guère plus qu’une idéologie afin de permettre à chacun, individuellement, de devenir maître de son existence et de son temps, ce qui doit avoir pour conséquence ultime la préservation même de nos conditions de vie. Car la réduction du temps de travail a pour corolaire une forme de sobriété : produire moins pour consommer moins, mais mieux. Se libérer du travail, c’est aussi se libérer de la consommation à outrance, de cette frénésie de possession prétendument constitutive de notre bonheur pour développer collectivement les conditions d’un épanouissement et d’un accomplissement individuels.


Hadrien Klent conserve ici le ton facétieux qui donnait toute sa saveur à son précédent roman. Mais ne vous y trompez pas, le fond reste on ne peut plus sérieux. Le programme déroulé tout au long du récit s’appuie sur une argumentation solide résultant d’une réflexion et d'une analyse économique tout à fait convaincantes, pour peu que l’on veuille bien retirer ses œillères.


Je ne serais toutefois pas honnête si je vous affirmais que le roman était exempt de toute caricature : certains protagonistes secondaires, tels les deux personnages incarnant l’opposition, n'y échappent pas - mais sont-ils si loin de notre personnel politique ? Là n’est cependant pas l’essentiel. Le roman joue sur une forme de satire qui ne prétend pas au réalisme mais invite le lecteur à déplacer son regard et modifier sa perspective pour remettre en question la perception qu'il a du monde qu’il habite. La réflexion qu’il nous incite à mener ne manque certes pas de pertinence ni de bon sens. Pour ma part, je la trouve suffisamment convaincante pour ne pas la balayer d’un revers de main. Sauf à vouloir poursuivre sur la voie qui est en train de nous conduire droit dans le mur. 





6 commentaires:

  1. J'ai déjà lu un de ses romans, et je suis d'accord pour continuer!!!

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  2. J'avais beaucoup apprécié Paresse pour tous mais je ne sais pas pourquoi j'ai estimé qu'il n'y avait pas urgence à lire la suite, après tout je suis déjà convaincue ;-)

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    1. Moi aussi. Mais disons que l'auteur déroule en détail les modalités et les effets de la réduction du temps de travail et j'ai trouvé ça vraiment convaincant. Comme si, à la suite du premier tome, on lui avait dit "bon, mon gars, c'est bien joli tout ça, mais comment tu fais concrètement ?". Ben là, le gars, il explique tout !

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  3. Chic ! J'avais adoré Paresse pour tous.

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