lundi 3 janvier 2022

Mission divine

Stéphane Durand-Souffland

L’iconoclaste, 2021



Le président appartient à ce club de magistrats qui estiment que le personnage le plus encombrant du procès, c’est l’accusé. Moins il s’exprime, mieux on le juge.

S’il fallait ne retenir qu’une phrase - ou deux - de ce récit, ce serait celle-là. Car ce n’est pas le délire des deux protagonistes ni l’effroyable crime qu’ils commettent qui en est le coeur. Non, même si leur étrange périple occupe la première moitié du livre, c’est bien la manière dont est mené leur procès qui intéresse l’auteur.


Et ça tombe bien, car une histoire de meurtre sauvagement perpétré sur un enfant aurait tout pour me faire fuir (surtout lorsque l’enfant en question porte le même prénom que l’un de mes fils, rendant l’identification singulièrement dérangeante !).


Il n’avait pas l’air bien méchant, pourtant, ce couple. Juste de doux dingues convaincus qu’ils avaient une mission divine à accomplir. Elle, Sylvia, se faisant appeler Sa Majesté, constamment flanquée de son chat en laisse, prodiguait à Etienne toutes les pensées qu’elle consignait dans ses carnets. Lui, fasciné par sa beauté et son assurance, en était le secrétaire. Elle l’avait, entre autres titres honorifiques, nommé roi d’Australie. Eux seuls avaient le pouvoir de contrer les puissances maléfiques qui sapaient le monde. Vingt ans durant, ils ont sillonné les routes, dormant ici ou là, purifiant rituellement l’espace que l’on voulait bien leur ouvrir le temps d’une nuit. Vingt ans d’errance. Vingt ans sans autre lien que celui qui les unissait. Vingt ans sans autre horizon que celui de leur obsession. Jusqu’au jour où leur harmonie se ternit, où Etienne se sent rejeté et croit pouvoir remédier à cet abandon en mettant en oeuvre les préceptes de son inspiratrice.


La mort sauvagement donnée par une vingtaine de coups de couteau à un petit garçon de 12 ans jette l’effroi sur tout un village avant de se propager dans le pays. L’affaire fait la une des journaux. Le gouvernement promet la justice. La machine judiciaire se met en branle.

Dès l’arrestation du couple, la folie d’Etienne est manifeste. Mais est-elle bien réelle ? Ou bien se moque-t-il de ceux qui l’interrogent ? N’espère-t-il pas échapper à la prison en jouant les alliénés ? Les experts s’opposent. Mais l’opinion attend le procès qui leur a été promis, et l’exécutif ne saurait se dédire. Imperceptiblement des pressions s’exercent. Les avocats, quant à eux, voient l’occasion d’accroître leur notoriété. Chacun a sa propre carte à jouer, un objectif à atteindre. Sur l’échiquier de la justice, les inculpés ne sont plus que des pions. 

Quant à savoir si Etienne était pleinement responsable de ses actes lorsqu’il a accompli son terrible geste, nul ne semble réellement s’en soucier. Pas plus qu’autre chose, la justice des hommes n’échappe à leurs turpitudes. Stéphane Durand-Souffland a pu parfois le constater au cours de sa carrière judiciaire. Il en a tiré ce roman inspiré de faits réels.


7 commentaires:

  1. Brrr, ça semble dérangeant et intéressant à la fois... pour l'aspect judiciaire essentiellement.

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    1. Assez troublant, oui, à la fois par le comportement des protagonistes complètement barrés et par ce qui est présenté du fonctionnement de la justice.

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  2. Me voici tentée par ce "jeune" romancier.

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    1. C'est effectivement un premier roman... nourri par vingt ans d'expérience professionnelle ;-)

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  3. Oh tiens, je n'avais jamais entendu parler de ce roman...

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    1. Ah oui ? Pas peu fière de commencer l'année en te faisant faire une découverte ;-)

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  4. Elle fait froid dans le dos cette histoire. Mais pour le fonctionnement de la justice, ça doit valoir le coup.

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