jeudi 6 janvier 2022

La décision

Karine Tuil
Gallimard, 2022



La décision : ce titre nous plonge d’emblée dans l’univers de Karine Tuil. Concis, efficace, dénué d’affect. Avec ce nouveau roman, l’auteure poursuit son travail d’exploration des affres de notre société en plaçant au coeur de son dispositif narratif une juge d’instruction antiterroriste. Face à elle, Abdeljalil Kacem, arrêté après son retour de Syrie. 


Nous sommes en 2016. Alma Revel mène l’interrogatoire. Le jeune homme répond posément à ses questions. S’il s’est rendu en Syrie avec sa femme, c’était pour soutenir la population persécutée par Bachar el-Hassad, faire de l’humanitaire et pratiquer sa religion. En aucun cas pour faire le djihad. Il déteste la violence, est incapable de tuer. Ce n’est qu’une fois sur place qu’il a pris la mesure de son erreur, mettant tout en oeuvre pour rentrer, au risque d’être lui-même exécuté. Avec pour seul objectif de mettre sa femme et son nouveau-né en sécurité, repartir à zéro, offrir un avenir à sa famille.


C’est à Alma que revient la responsabilité d’évaluer la sincérité du prévenu. S’il dit la vérité, elle le libère. S’il ment, elle le maintient en détention. Le jeter en prison, c’est condamner un individu qui n’a pas commis d’acte répréhensible. C’est prendre aussi le risque d’une radicalisation qui n’a peut-être pas encore eu lieu. Le libérer, si elle se trompe, c’est lui laisser la possibilité de perpétrer un attentat terroriste.


Une décision parmi les plus difficiles qu’Alma, pourtant expérimentée, ait jamais eu à prendre. D’autant que ses questionnements intimes viennent télescoper ses doutes d’ordre professionnel. Ce métier si exigeant et si éprouvant psychologiquement n’est sans doute pas étranger à l’usure de son couple. Et le sentiment de vulnérabilité qu’elle éprouve à titre personnel contribue à fragiliser sa position professionnelle. Une redoutable porosité que la construction du roman met parfaitement en évidence. En alternant les chapitres dans lesquels l’héroïne relate sa propre histoire avec les procès-verbaux d’interrogatoires, Karine Tuil montre combien la violence du monde s’insinue au plus profond des individus et déstabilise ainsi la totalité de l’édifice social. 

Cette construction est d'autant plus efficace qu'elle se conjugue avec une intrigue digne d’une tragédie pour nous proposer une réflexion tout à fait pertinente sur la justice et la culpabilité, et nous offrir un roman percutant - bien plus convaincant selon moi que Les choses humaines - impossible à lâcher avant d’en avoir atteint la dernière ligne. Bref, une Karine Tuil qui revient en grande forme.




 






12 commentaires:

  1. Je n'ai pas beaucoup aimé "les choses humaines", mais tu as l'air de dire que celui-ci est nettement meilleur.

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    1. J'avais également trouvé Les choses humaines un peu raté : très froid, caricatural et très démonstratif - ce que sont toujours les textes de cette auteure, mais disons que le propos ne m'avait pas semblé soutenu par une construction romanesque convaincante. Ici, je trouve qu'elle renoue avec des personnages plus étoffés et une bonne architecture romanesque.

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  2. Je projette depuis son dernier roman de lire Karine Tuil, il ne reste qu'à trouver le temps...

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    1. Evidemment, je te conseille plutôt de commencer par celui-là plutôt que par le précédent. Ou bien par ceux d'avant ;-)

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  3. Jamais lu l'auteure... Bon, on verra avec la bibli, tranquillement.

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    1. Je pense que ça vaut le coup de la découvrir. Ta bibli doit sans aucun doute avoir ses précédents livres... ;-)

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  4. Elle est aujourd'hui sur France culture, et j'ai hâte de lire son dernier roman, surtout qu'il t'a plu.

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  5. j'adore cette autrice et suis ravie de savoir que son dernier est très bon (j'avais personnellement beaucoup aimé me faire manipuler dans Les Choses humaines). 1er avis que je lis, merci !

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    1. Alors tu devrais également apprécier ce livre ! Bonne lecture :-)

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  6. Echaudée par Les choses humaines... et pas hyper tentée par ce livre dont on parle déjà beaucoup et que j'ai l'impression d'avoir déjà lu. Tant pis, je fais l'impasse, il en reste 544 ;-)

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    1. J'étais contente de pouvoir le lire avant qu'on en parle, effectivement. (Et je ne me fais pas de souci pour toi, je sais que tu trouveras largement de quoi te sustenter ;-) )

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