Eric Reinhardt
Gallimard, 2017
Avant d’entrer dans le vif du sujet, ami lecteur qui t’aventures par ici, j’aimerais te mettre en garde : si tu ne supportes pas les écrivains qui se mettent en scène, si tu es irrité par les auteurs qui font de leur processus de création la matière même de leurs livres, si tu penses que la sphère intime d’un homme doit rester à la porte de son œuvre, alors sans doute n’auras-tu pas envie de me suivre.
Si, au contraire, tu apprécies qu’un auteur joue avec toi pour t’entraîner dans les méandres des relations qu’entretiennent fiction et réalité, alors prépare-toi à te perdre avec délices dans le labyrinthe construit par Eric Reinhardt. Parce que ce roman-là, dans son genre, c’est de la bombe !
Le sujet en est pourtant plus qu’austère, glaçant : Eric Reinhardt - et c’est bien lui qui prend la parole au début du livre - évoque le combat livré par sa femme contre le cancer. Dans cette lutte sans merci, elle fut épaulée par son époux. Plus qu’épaulée : soutenue, portée, amenée à se dépasser par le truchement de la création littéraire. Il fut en effet entendu entre eux que les efforts qu’elle livrerait contre la maladie se doubleraient de ceux de son mari pour écrire le roman qui allait être Cendrillon. C’est donc dans les singulières coulisses de l’écriture de ce livre que Reinhardt nous invite à entrer.
Si l’œuvre se nourrit d’une urgence et surtout d’une sève qui lui sont communiquées par le désir éperdu de vie de son auteur, elle communique en retour la sienne à cette femme assiégée par le mal qui en écoute quotidiennement l’avancée. La vie et l’œuvre se nourrissent mutuellement pour finalement se confondre en une énergie vitale hors du commun.
De ce fait, l’œuvre et les conditions de sa création ne formant plus qu’un, l’écrivain racontant en vient à devenir le personnage principal du roman en train de s’écrire, évoquant le livre qu’il a écrit pour soutenir sa femme - ou le livre qu’il aurait pu écrire. La mise en abyme se démultiplie, exactement comme si l’écrivain se tenait entre deux miroirs renvoyant son image à l’infini. C’est vertigineux et très habilement fait.
On relit ainsi certaines lignes écrites plusieurs pages auparavant, avec toutefois des changements de noms, des changements de profession, des nuances, de légers décalages, des petits riens qui disent combien la fiction offre un vaste champ de possible et laisse de liberté. Elle dit la manière dont la littérature peut s’emparer du réel pour le déformer, le magnifier, le recréer à sa guise.
Reinhardt s’amuse à nous faire perdre pied, glissant parfois inopinément du je au il, d’un personnage à son double, sans que l’on s’en rende toujours bien compte, nous obligeant à nous interroger et à revenir quelques pas en arrière.
Je sais que ce livre en irritera plus d’un. Reinhardt s’y expose sans pudeur. Il serait pourtant dommage de ne pas tenter l’aventure. Au-delà de l’exercice, auquel on peut adhérer ou non, l’écrivain possède une plume remarquable qui m’a fait goûter chacun de ses mots. Et puis, quoi qu’en disent certains, il sait aussi se jouer de lui, et il m’est arrivé, en dépit de la gravité du sujet, de sourire. Et surtout d’être très touchée.
Intelligence, style et émotion, ce livre qui célèbre la vie et la littérature réunit tout ce que je peux attendre d'un roman.
Intelligence, style et émotion, ce livre qui célèbre la vie et la littérature réunit tout ce que je peux attendre d'un roman.
Roman lu dans le cadre d’une opération Masse critique privilégiée de Babelio. J'avais été ravie de cette proposition, ayant précédemment beaucoup apprécié L'amour et les forêts. Merci donc à Babelio et Gallimard pour ce très bel envoi.
Babelio m'ignore (mais c'est moi qui ai commencé, remarque)
RépondreSupprimerJ'avais abandonné L'amour et les forêts, je peux tenter celui ci, mais j'attends que les biblis le commandent -ou pas.
Je ne doute pas qu'elles le commandent. Quoi qu'il en soit, comme je dis toujours, il n'y a pas de date de péremption ;-)
SupprimerOn peut dire que Babelio choisit bien les lecteurs de ses opérations spéciales (pour moi, un roman américain)...
RépondreSupprimerLe Rheinhardt n'est pas pour moi, tu t'en doutes !
Tout un art !
Supprimer:-D
Olalalala "La vie et l’œuvre se nourrissent mutuellement pour finalement se confondre en une énergie vitale hors du commun. "
RépondreSupprimerça me parle ! Hop, je l'ajoute illico (il était déjà dans ma liste, mais là bon il me faut dare dare ! )
Vite, vite, une librairie !
SupprimerAh, zut, il sort demain ;-)
j'hésite encore à le lire...
RépondreSupprimerPourquoi donc ? Essaye !
Supprimer:-))
Elle est chouette ta chronique :-)
RépondreSupprimerPas sûr que cela suffise à m'entraîner vers ce livre. Je suis assez mitigée vis à vis de l'auteur et j'avais déjà zappé le précédent... Mais elle est chouette ta chronique :-)
Merci pour le compliment :-)
SupprimerOui, cet auteur suscite des réactions très contrastées... Je trouve cela d'ailleurs beaucoup plus intéressant que le consensus.
Je ne sais pas si tu aimerais, mais je suis sûre que son approche, sa façon de jouer avec le lecteur pourrait t'intéresser. Et puis la langue est vraiment belle. Si tu veux, je te le prêterai, comme ça c'est sans risque ;-)
Ce sera sans moi. Ton premier paragraphe m'a convaincue!
RépondreSupprimerIl vaut mieux savoir de quoi il retourne et si tu es en effet allergique à ce type de littérature, mieux vaut t'abstenir... Mais tu perds quelque chose ;-)
SupprimerC'est quitte ou double avec moi, ce genre de romans... Autant, j'ai beaucoup aimé la manière dont Delphine de Vigan s'est montrée en train d'écrire dans "Rien ne s'oppose à la nuit", autant je n'ai pas tellement apprécié la manière de faire d'Emmanuel Carrère. Je crois que la raison de mes différences d'appréciation se situe du côté de la pudeur, comme tu le soulignes ici de Reinhart... Du coup, je ne sais pas si ce serait pour moi...
RépondreSupprimerTu as tapé en plein dans mes auteurs d'autofiction préférés ! ;-)
SupprimerJe ne peux pas apporter de réponse à ta question ; il ne te reste qu'à essayer pour le savoir ;-)
Tu le présentes bien mais je vais passer mon chemin, l'autofiction ce n'est pas trop mon genre.
RépondreSupprimerEt puis, cet auteur, depuis une rencontre en librairie...bof...
Tant pis...
SupprimerJ'ai bien aimé L'amour et les forêts, je ne suis pas sûre que le thème de celui-là soit pour moi, je vais attendre un peu!
RépondreSupprimerIl n'y a pas d'urgence de toute façon, tu pourras le lire plus tard si tu en as envie...
SupprimerJe n'avais pas vraiment envie de le lire mais ce que tu en dis m'invite à changer d'avis... A voir ! Merci pour ta chronique !
RépondreSupprimerAaahh ! Merci ! Les réactions étaient plutôt frileuses, jusqu'à présent (à part celle de leiloona) :-(
SupprimerPas pour moi, je le crains ; je n'aime pas ce mélange.
RépondreSupprimerCela ne me surprend guère... :-)
SupprimerJ'avais bien aimé "Le moral des ménages","Le système Victoria" et "L'amour et les forêts" et beaucoup moins "Cendrillon".
RépondreSupprimerCelui-ci est tentant, mais ne sera pas ma priorité pour cette rentrée. J'attends des avis pour le dernier Alice Ferney et le roman d'Anna Hope.
Ah ! Ce ne sont pas des lectures que j'ai prévues... pour l'instant ;-)
SupprimerTa chronique est en effet épatante, mais je ne suis pas tentée. Je n'ai jamais lu Eric Reinhardt, jamais eu envie car pour moi, il représente peu ou prou le nombrilisme littéraire français qui me déplaît généralement...
RépondreSupprimerEh oui, je sais bien qu'il a cette image-là... Personnellement, j'aime beaucoup quand un écrivain se livre et parle de ses expériences intimes. Je trouve que cela peut faire écho à ce que chacun de nous peut être amené à vivre... Encore faut-il que ce soit fait avec talent, ce qui n'est pas toujours le cas !
SupprimerPas pour moi je le crains mais tu es diablement convaincante !
RépondreSupprimerMais pas encore suffisamment, visiblement ;-)
SupprimerAh oui, il m'a irrité, Reinhardt, dans ce roman mais tu as raison, il y a un côté touchant. Je trouve le roman plutôt raté mais l'homme qui semble se cacher derrière me plait plutôt (le roman ne sortant que le 17 septembre, j'attends avant de le chroniquer).
RépondreSupprimerAh mais en fait, il y une erreur dans le papier que j'ai reçu avec le roman, il sort bien aujourd'hui. Heureusement que tu es là!
SupprimerAh, je suis contente que tu l'aies ressenti aussi !
SupprimerPourquoi trouves-tu ce roman raté ? Du coup, tu publies bientôt ton billet ? J'aimerais bien le lire.
Ton billet me fait considérer d'une autre manière l'amour et les forêts, c'est étrange, mais bref ce n'est pas le sujet. D'un côté je suis très tentée par cet exercice littéraire et intime, car quoiqu'on en dise, c'est toujours fascinant pour un lecteur, mais je crains que son ton me déplaise comme dans son précédent, et je reconnais que l'égocentrisme et surtout jeter son intimité et celle de sa femme au grand public me heurte (bon tu le sais nous en avons déjà parlé). A voir, donc, j'attends de lire d'autres billets.
RépondreSupprimerBonne fin de vacances Delphine
Merci Galéa :-)
RépondreSupprimerLa première phrase de ton commentaire m'intrigue beaucoup... Pourquoi dis-tu cela ?
Je comprends tes réserves, mais d'une part, j'imagine que sa femme était d'accord pour cette publication (ou bien c'est un cas de casus belli !) et d'autre part, la littérature permet de transcender, me semble-t-il, une expérience humaine. L'auteur évoque ce qu'il a ressenti, redouté, espéré, imaginé, que sais-je, et ne relate donc pas forcément fait pour fait ce qui s'est passé.
Pour moi, lorsqu'un auteur dévoile son intimité - je parle des bons écrivains, évidemment - il nous parle d'une expérience humaine qui pour être personnelle peut avoir une dimension universelle. Ce qu'ils disent peut faire écho à la propre expérience du lecteur, et c'est pourquoi je suis souvent extrêmement touchée par ces textes.
Peut-être tenteras-tu cette lecture ? Je serais en tous les cas ravie d'en reparler avec toi le cas échéant :-))
Et, t'as vu ! J'ai de la connexion ! Aléatoire, mais connexion quand même ! ;-)
L'Amour et les Forêts m'avait à la fois emballée et agacée!
RépondreSupprimerPour celui-ci je ne me précipite pas, j'attends un peu que l'effet sortie se décante, je le lirai sans doute en Novembre ou Décembre...
Cela va tellement vite arriver... ;-)
SupprimerJ'aime beaucoup l'écriture de Reinhardt, je lirai celui-ci aussi je pense.
RépondreSupprimerAlors tu devrais aimer ! J'ai particulièrement apprécié son style dans ce livre. Bonne lecture :-)
SupprimerUn livre que j'ai prévu de faire mien très bientôt :) Ta chronique me donne encore plus envie de m'y plonger !
RépondreSupprimerAh, tant mieux ! Cela m'enchante ;-)
SupprimerJe ne te lis pas, parce que je ne veux rien savoir de ce livre avant de l'avoir dans les mains (bientôt) ! Je reviendrai mais je retiens que tu as aimé, excellent signe pour moi ;-)
RépondreSupprimerTu es déjà rentrée ?
SupprimerCe livre, ce n'est pas possible que tu ne l'aimes pas !!! ;-)
J'attends ta lecture et ton billet avec la plus vive impatience.