vendredi 12 septembre 2025

La tentation artificielle

Clément Camar Mercier
Actes Sud, 2025


S’il est un sujet désormais omniprésent, c’est bien celui de l’IA. Il n’est donc guère surprenant de le voir investir le terrain littéraire. Clément Camar Mercier, qui s’était fait connaître en 2023 avec Le Roman de Jeanne et Nathan, revient aujourd’hui avec un deuxième récit pour le moins désarçonnant mettant en scène un vrai petit génie du code.


Ce ne sont pourtant pas ses extraordinaires compétences qui nous sont d’abord présentées. L’auteur commence en effet par nous signaler que son personnage est atteint d’un « chalazion » ou, pour le dire plus simplement, qu’il est affligé d’un kyste à la paupière. « Chiant, mais pas grave », est-il d’emblée précisé. Drôle d’entrée en matière ! D’autant que d’autres affections - toujours chiantes, mais toujours pas graves - vont rapidement l’assaillir, gênant considérablement l’exercice de son métier et la présentation des projets qu’il doit faire à ses éminents clients.

Ok, se dit le lecteur, on se dirige vers une satire des méfaits des usages à outrance des écrans et de l’IA.


Sauf que le récit emprunte très vite une autre voie. Certes, on a droit à la restitution, assez truculente, des consultations médicales de Jérémie, mais l’auteur prend aussi le temps de brosser le portrait de l’enfant que celui-ci a été et de le mettre en scène dans ses interactions sociales et professionnelles. Au milieu de tout cela, Jérémie murit un projet d’intelligence artificielle révolutionnaire, qu’il met en oeuvre dans un bureau ultrasecret de la vaste demeure qu’il se fait construire à Rambouillet, et qui, comme vous pouvez vous en douter, va occuper dans sa vie une place croissante. 

Le lecteur se dit que ça y est, il entre cette fois dans le vif du sujet : une réflexion sur la manière dont l’addiction au numérique nous entraîne toujours plus loin et sur l’ascendant que les IA menacent de prendre à plus ou moins court terme sur leurs créateurs.


C’est sans compter l'ahurissant rebondissement qui conduira Jérémie à tout plaquer pour se retirer dans un monastère. Une mise à l’écart du monde qui débouchera sur une série de péripéties toujours plus rocambolesques qui finiront par le ramener vers son point de départ, non sans l’avoir doté au passage d’une détermination renforcée…


Que dire de ce roman ? Si ma tentative de le résumer vous laisse quelque peu perplexe, sachez que je l’étais tout autant au sortir de ma lecture - et le reste encore quelques semaines après l’avoir terminée… J’ai réellement apprécié le caractère burlesque du récit (après La peau dure, La collision et Kolkhoze, disons que j’avais envie d’un texte qui fasse un peu plus place à l’imaginaire), ce qui ne m’a pas empêchée de trouver très pertinentes certaines réflexions sur notre rapport au numérique, notre dépendance aux objets connectés et à l’IA. J’ai lu avec intérêt les scènes plus réalistes résultant d’une documentation de toute évidence scrupuleuse qui émaillent également le texte (il faut s’accrocher pour arriver au bout du passage consacré aux modérateurs de réseaux sociaux et surmonter les haut-le-coeur qu’il provoque). En un mot, je ne me suis pas ennuyée un instant et l’auteur pointe parfois avec talent les comportements pervers vers lesquels l’ère numérique nous entraîne. 

Pour autant, il m’a parfois laissée songeuse, et je peine à tirer de cet écheveau un propos clair. L'IA est-elle un danger ou élargit-elle l'horizon humain ? J'avoue que je ne sais trop quelle conclusion tirer de ce roman... Mais le rôle de la littérature est-il d’apporter des réponses univoques aux vastes questionnements qui nous occupent ? Attend-on d’un auteur qu’il nous offre une grille de lecture simplifiée, voire simpliste, de notre monde ? Pas si sûr… Ce qui l’est en revanche, c’est la nécessité de nous poser les bonnes questions si nous voulons relever les défis qui se posent à nous.


5 commentaires:

  1. Coïncidence amusante : j'ai commencé ma journée (ou plutôt terminé ma nuit) en écoutant une émission sur l'I.A. dont l'intervention finale m'a beaucoup intéressée et agacée en même temps. Mais j'en ai un peu assez de ce sujet qui envahit tout, partout. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/l-ia-souffle-dans-l-algotest-1340696

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    1. Comme je le dis dans mon billet, nous sommes bien obligés de nous pencher sur le sujet... Merci pour le lien ;-)

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  2. C'est un sujet omniprésent en ce moment, et comme l'IA présente autant d'avantages que d'inconvénients (ce qui est un euphémisme), on n'est pas prêts d'arrêter d'écrire dessus... Ceci dit, ton résumé m'a rendue perplexe aussi !

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  3. Je pense que tout n'est pas à jeter dans l'IA et que c'est à nous à faire preuve d'intelligence en l'utilisant.

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  4. Dire que ton billet suscite ma curiosité est un euphémisme !

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