Stéphane Audeguy
Le Seuil, 2025
C’est avec une curiosité sans cesse renouvelée que je prends connaissance des parutions de la collection Fictions & Cie. On les aime ou pas, mais les textes qui y sont publiés ne ressemblent à aucun autre. On est en effet assuré d’y trouver un parti pris narratif audacieux, l’originalité d’un sujet ou la proposition d’un projet littéraire inédit. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le nouveau livre de Stéphane Audeguy, qui n’en est pas à son coup d’essai mais que je n’avais pour ma part jamais lu, ne fait pas exception !
Ainsi nous entraîne-t-il dans une manière de dystopie qui ne dit pas son nom : nous sommes dans un futur relativement proche bien qu’indéterminé et tout démarre, nous est-il précisé dès la première page, quarante ans après que « la fin du monde a commencé ». Tout semble pourtant à sa place, nous sommes au Louvre, les touristes affluent, les enfants s’ennuient et, en cette fin d’après-midi, le musée s’apprête à accueillir les participants aux activités nocturnes - « chasse au trésor dans la salle des sculptures françaises » ou « concert électroacoustique au salon d’apparat Napoléon III »… Lorsque sous les yeux de l’un de ses plus fervents admirateurs, venu au crépuscule de sa longue existence du fin fond de la Chine pour enfin l’admirer, la Joconde se décompose-t-elle pour se réduire à un petit monticule de poussière de pigments au pied du panneau de bois sur lequel elle était peinte.
Le rideau tombe sur le premier acte de cette Catastrophe après que d’autres oeuvres picturales ont connu le même sort à travers le monde, jusqu’à l’extinction complète de la peinture figurative. Quel sens cela peut-il avoir ? Et surtout, cela peut-il affecter la population humaine, à l’heure où tout a été numérisé, où l’on peut peut-être mieux observer le détail d’une Joconde depuis son canapé en zoomant sur son ordinateur qu’au musée où une nuée de visiteurs de pressent devant elle pour faire le selfie tant convoité ? Le narrateur entre alors en scène, ouvrant un nouveau fil narratif.
Il déroule sa généalogie, évoque la figure de son arrière-grand-père, Abraham Ackerman qui a réussi à réchappé aux camps de la mort, interrogeant sa judéité avant d’expliquer comment il en est arrivé à devenir historien de l’art. Ainsi nous explique-t-il pourquoi il se sent particulièrement concerné par la Catastrophe, qui n’aura été que le premier acte de la Tragédie qui conduisit à la quasi-disparition de l’espèce humaine.
Difficile, vous l’aurez compris, de résumer un tel roman et sans doute cela serait-il vain : il faut plonger dans ce texte surprenant sans lui offrir de résistance. Audeguy nous entraîne imperceptiblement dans un univers apocalyptique interrogeant notre rapport à l’art - certaines scènes sont d’une ironie mordante - et à la mémoire, notre façon d’appréhender l’avenir, et le rôle que tiennent les images dans notre manière d’être au monde, donnant lieu à de très intéressantes réflexions et à quelques très belles pages. Ce récit peut certes apparaître quelque peu déconcertant, mais au moins ne laisse-t-il pas indifférent et offre-t-il une réjouissante étrangeté.
Je verrai avec la bibliothèque s'ils peuvent le commander. C'est tentant comme histoire.
RépondreSupprimerJ'espère que tu sauras convaincre tes bibliothécaires :-)
Supprimerça a l'air sacrément perché mais pourquoi pas
RépondreSupprimerVenant de toi, je dirais que c'est plutôt un compliment ;-) Rien de pire que les textes sans surprise et sans aspérités...
SupprimerEn tout cas le parti-pris est intéressant, à l'inverse de ceux choisis en principe par les auteurs qui s'attachent à montrer la subsistance de l'art lors des processus d'extinction de l'humanité qu'ils narrent. Je l'ai repéré, nous verrons s'il parvient à se glisser dans mon programme...
RépondreSupprimerA suivre... ;-)
SupprimerJ'avais beaucoup aimé Nous autres de l'auteur, et depuis je n'ai rien lu. Je note ce titre.
RépondreSupprimerJe n'avais quant à moi jamais rien lu de cet auteur, mais cela a été une très intéressante découverte.
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