Jean Echenoz
Minuit, 2006
Vous vous en doutez aisément, c’est le film d’Anne Fontaine récemment sorti en salles qui m’a donné envie de lire ce roman. De Jean Echenoz, je n’avais jusqu’à présent lu qu’un seul titre, qui m’avait laissée sur ma faim (je ne sais même plus duquel il s'agissait, c’est dire…). Mais j’avais envie de rester dans l’atmosphère de ce film délicat, aussi ai-je suivi les conseils qui m’avaient été donnés par quelques lectrices de confiance… Bien m’en a pris !
Le livre que l’écrivain consacre à Ravel se concentre sur les dix dernières années de son existence : de la veille de son départ pour une tournée triomphale sur le continent américain à sa mort, soit de 1928 à 1937. Mais ce n’est pas tant le récit des événements marquants de son existence qui nous est proposé que le portrait impressionniste d’un homme peu ordinaire. En quelques pages - le livre est bref et, pour peu que vous l’ouvriez un dimanche, comme ce fut mon cas, vous le terminerez dans la journée - Echenoz parvient à nous offrir une image très nette, mais aussi extrêmement subtile du personnage étonnant que fut Ravel.
Par petites touches, dans une prose simple et élégante, opérant à l’occasion quelques brefs retours dans le temps, Echenoz révèle son tempérament, sa détermination, son élégance, ses blessures intimes, cet improbable mélange de rudesse et d’affabilité, de raffinement et de rugosité. De la même manière, il relate ses tentatives restées vaines de remporter le prix de Rome, l’acharnement que cet ancien réformé mit à obtenir son incorporation dans les troupes envoyées sur le front de la Grande Guerre, les conditions de la création du Boléro, son incapacité chronique à trouver le sommeil et les assauts croissants d’une maladie qui attaqua son système cérébral et l’empêcha de continuer à composer jusqu’à son décès consécutif à l’intervention chirurgicale par laquelle on tenta de le soigner.
L’attachement et la tendresse d’Echenoz à l’égard de son personnage sont si manifestes qu’ils suscitent chez le lecteur un profond sentiment d’empathie. Rien de théâtral, pourtant. Tout se joue dans de menus détails, dans l’évocation d’une humeur passagère, dans une simple remarque, dans le choix d’un mot qui vient éclairer une scène. Pourtant, lorsqu’on referme la dernière page du roman, on ne peut qu’être étreint par l’émotion.
J’ignore quelles ont été les sources d’inspiration d’Anne Fontaine pour écrire le scénario de son film et le réaliser, mais elle avait certainement lu ce livre. J’y ai retrouvé une même construction, une même atmosphère intimiste, une même approche impressionniste, une même attention portée aux silences et aux détails permettant de révéler une personnalité. Phénomène étonnant, ayant lu le livre quarante-huit heures après avoir vu le film, de nombreuses images de celui-ci me réapparaissaient à la lecture des mots d’Echenoz. Un splendide doublé, en somme.
Contente que tu aies apprécié la prose de l'un de mes écrivains favoris (grand copain de l'un des tiens)... Contrairement à toi je n'ai pas été très emballée par le film que j'ai trouvé assez fade et longuet. Ni par Raphaël Personnaz trop lisse à mon goût. Mais tu as raison Anne Fontaine avait sans doute lu ce livre parmi d'autres sources. Ma lecture avait suscité des images bien différentes...
RépondreSupprimerOui, je sais que ces deux grands noms de la littérature française contemporaine s'apprécient beaucoup ;-)
SupprimerToi et moi n'avons pas découvert ces oeuvres dans le même ordre, et, là où j'ai enchaîné, un temps plus long s'est écoulé de ton côté entre la lecture et le visionnage du film : il en résulte une expérience et une perception différentes (notamment quant aux images suscitées).
Ceci étant posé, c'est précisément ce que j'ai apprécié dans le film, cette certaine lenteur, la patience que Fontaine nous impose avant d'en venir au fameux Boléro qui est devenu un tel lieu commun musical. Elle nous amène à le redécouvrir, à le réentendre, elle nous prépare à l'accueillir presque comme si c'était la première fois que nous l'entendions. Quant à Personnaz, j'ai beaucoup aimé son jeu, tout en intériorité, qui restitue très bien, je trouve les paradoxes d'un homme très étonnant. Il me semble tel que le dépeint Echenoz : un homme à la fois élégant et sans filtre, éternel insatisfait de lui-même et pourtant sûr de son talent, fragile et déterminé à la fois... Et Fontaine, dans sa façon même de filmer, le pousse dans cette direction.
J'essaie de me souvenir de ma lecture, mais il ne m'en reste rien à part que je n'avais pas été emballée. Ce qui m'était déjà arrivée avec Echenoz. Alors que j'ai lu avec le plus grand plaisir le roman dont je te parlais de Michel Bernard (les forêts de Ravel).
RépondreSupprimerOui, j'ai bien noté ce titre également :-)
SupprimerDe Jean Echenoz, j'ai adoré Courir, le premier lu, sur Emil Zatopek et la course à pied, le style de l'auteur m'a emballée... Et puis mon entousiasme est retombé comme un soufflé quand j'ai essayé d'autres titres. Les sujets me parlaient-ils moins ou l'effet de surprise était-il passé ? Je ne sais pas du tout. Bref, je n'ai pas lu Ravel... ;-)
RépondreSupprimerPlusieurs lecteurs semblent trouver, tout comme toi, cet écrivain inégal. Mais ce n'est pas la première fois qu'on me recommande Courir. Je note donc soigneusement ce titre dans un coin de ma tête...
SupprimerJ'aime beaucoup l'auteur, mais ce titre-là ne me tentait pas.
RépondreSupprimerIl en a écrit pas mal d'autres : autant te laisser guider par tes envies et ton instinct...
SupprimerComme Aifelle, je me souviens très très bien du roman Les forêts de Ravel. Mais celui-ci... Promis, j'y jetterai un oeil - il est à la Médiathèque. Bon week end de Pâques.
RépondreSupprimerEt moi j'ai bien noté le Michel Bernard, également dispo à la bibliothèque ;-) Joyeuses Pâques également.
SupprimerPour le livre, j'ai aimé (Echenoz, je l'aime en général!) et j'hésitais à voir le film, la bande annonce parait bien léchée..; et puis, ce Boléro! je n'en peux plus de l'entendre à toutes les sauces, pourtant, quelle composition!
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