mardi 28 décembre 2021

La maîtresse du peintre


Simone van der Vlugt
10-18 (Première édition : Philippe Rey, 2020)



Traduit du néerlandais par  Guillaume Deneufbourg




S’il n’y avait eu ce superbe portrait signé Rembrandt en couverture, je n’aurais probablement jamais prêté attention à ce roman au titre évocateur de bluettes à la Danielle Steel (sans vouloir offenser personne). Un titre à l’image du texte : d’un redoutable académisme. Il aurait pourtant été dommage de passer à côté, tant le sujet du livre est intéressant et la principale protagoniste campée avec conviction. 

Mais de qui s’agit-il au juste ? Qui est cette Geertje Dircx, oubliée et ignorée de tous, y compris de la plupart des spécialistes de Rembrandt ?


Saskia, l’épouse légitime morte prématurément et représentée dans de nombreux tableaux est quant à elle bien connue. De même que Hendrickje, la concubine avec laquelle le peintre hollandais finit ses jours. Mais entre les deux, il y eut une autre femme, qui reste beaucoup plus énigmatique… Simone van der Vlugt a voulu enquêter, a consulté les archives, s’est largement documentée pour cerner la personnalité de cette femme et essayer de comprendre pourquoi elle avait été ainsi évincée de l’histoire officielle du peintre. 


Geertje, que l’auteure nous présente plutôt bien faite de sa personne, futée et dégourdie, avait été recrutée par Rembrandt au moment de la mort de Saskia pour s’occuper de leur jeune fils Titus. Mais la nourrice tomba rapidement sous le charme du maître, qui succomba à son tour. Leur liaison d’abord tenue secrète finit par être connue de tous, provoquant le scandale… ce dont Rembrandt n’avait cure, son anticonformisme s’accommodant très bien d’une situation à laquelle son aisance financière et sa célébrité faisaient rempart. Une position évidemment beaucoup plus inconfortable pour une femme humble, sans fortune ni appui… Et surtout, soumise à la plus grande précarité. Car le jour où Rembrandt tombe amoureux d’une autre femme, Geertje doit user de tous les moyens pour ne pas sombrer dans le plus complet dénuement…


En retraçant l’histoire de cette femme, c’est à la fois un portrait en creux de l’artiste mondialement célébré que nous offre l’auteure, mais aussi une captivante plongée dans la société hollandaise du XVIIe siècle. Elle nous compte aussi l’éternelle histoire de l’état de dépendance imposée aux femmes par les hommes.

Si l’anticonformisme de Rembrandt nous le rend d’abord sympathique, son égocentrisme finit par prendre le pas. On découvre un être préoccupé de ses seuls sentiments, sûr de son génie artistique et prêt à commettre l’infamie lorsqu’il s’agit de préserver ses intérêts. Est-ce pour cela que les gardiens de la postérité du peintre ont préféré effacer la figure quelque peu embarrassante de Geertje ? C’est ce que suggère Simone van der Vlugt, et son récit autant que le dossier qu’elle présente en annexe sont de nature à nous en convaincre. Mais cela est-il si surprenant ? Finalement, il s’agit d’une histoire tristement banale. Une de plus.



8 commentaires:

  1. Avec toutes ces femmes derrière les artistes la littérature a encore de beaux jours devant elle... et, dans quelques temps, les hommes derrière les grandes artistes ;-)

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  2. Il y a un créneau apparemment en ce moment pour parler de ces femmes de l'ombre. A vrai dire, je ne me suis jamais vraiment penchée sur la vie de Rembrandt, je l'ignorais aussi séducteur.

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    1. Séducteur, je ne dirais pas ça. En tout cas, ce n'est pas ainsi qu'il est présenté : il y a eu son épouse ; puis, après la mort de cette dernière, il est tombé amoureux de la nourrice de son fils qui vivait à demeure, et enfin d'une autre membre de sa domesticité. Bref, il n'était pas allé chercher très loin !

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  3. “Bleu de Delft” de la même autrice donne aussi un vrai tableau de la position des femmes, de la société hollandaise et des artistes sur la même période.
    Je l’ai lu en même temps qu’une visite en Hollande et au Musée Vermeer notamment. Vraiment bie documente et intéressant !

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    1. Ah, du coup, je le lirai peut-être un de ces jours. Mais pas tout de suite.

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  4. A lire ta dernière phrase, il me semble que la fin t'a déçue.

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    1. Ah non, pas du tout ! Ce que je veux dire par là, c'est qu'il s'agit d'une histoire hélas banale, celle de la domination masculine, et qu'on n'en finit pas d'en dévoiler les multiples occurrences.

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