samedi 20 février 2021

Un fils sans mémoire

Valentin Spitz
Stock, 2021



Christian Spitz, alias Le Doc. Ce nom ne vous dira sans doute pas grand chose si vous avez moins de vingt ans - ou même de trente. Moi, je m’en souviens. Même si je n’ai jamais été une fidèle de Fun radio, où il s’est fait connaître, et si j’avais sans doute un peu passé l’âge de ses auditeurs, je ne peux oublier les controverses et les diatribes que son émission soulevait alors. La violence de la réaction du public n’avait d’égal que le succès et le soutien que ce médecin rencontrait auprès des adolescents auxquels il s’adressait. Avec son complice Difool, il permettait aux plus jeunes d’aborder la sexualité en toute liberté, et aucun mot ni aucune pratique n’étaient interdits d’antenne. Le Doc, dans les années 1990, c’était celui qui s’adressait aux jeunes sans les infantiliser, qui répondait à toutes leurs questions et n’admettait aucun tabou.


Quelle chance d’avoir un tel père, le petit Valentin s’entendait-il dire. Bien sûr, on ne pouvait qu’envier la bienveillance et la qualité d’écoute dont il devait bénéficier… Sauf que. Entre l’image publique et la sphère intime, il y a bien souvent un écart. Voire un gouffre. Et c’est celui-ci que Valentin sonde à travers ce récit.


Valentin n’a jamais vécu sous le même toit que son père. D’ailleurs, celui-ci ne l’a pas reconnu à la naissance et c’est un combat qu’il a dû mener auprès de l’administration - avec le soutien de son père - pour obtenir le droit de porter officiellement son nom. Il ne dispose que de quelques photos floues et n’a que des souvenirs éparses des brefs moments passés avec lui. En revanche, il se souvient précisément des longues heures passées à l’attendre alors qu’il était en retard ou ne venait pas.

Longtemps Valentin a cru qu’il était la seule cause des regards fuyants, des rendez-vous manqués et du mutisme. 

Le sentiment de culpabilité puis la colère ne l’empêcheront cependant pas de tout faire pour amorcer le dialogue et partager une forme de complicité avec son père. Mais puisque la sphère intime lui reste obstinément fermée, c’est par le journalisme et la radio - les voies dans lesquelles il s’est engagé - qu’il va nouer cette relation et s’efforcer de faire enfin la fierté de ce père. C’est sur ce terrain commun qu’ils vont se rencontrer, se parler. Pour Valentin, c’est aussi l’occasion de découvrir une ascendance familiale qu’il ne connaît pas et de comprendre celui qui lui a tant manqué.


C’est ce cheminement, cette difficile conquête, que nous relate Valentin Spitz avec lucidité et sincérité. Si ce texte est touchant, c’est parce qu’à aucun moment il ne se montre vindicatif à l’égard de l’absent. Valentin fait au contraire de ce manque un pilier sur lequel s’appuyer pour se construire : ce vide, il l’habille de mots. Ces mêmes mots qui sont aujourd’hui les plus précieux alliés d’un petit garçon devenu psychanalyste et écrivain.


6 commentaires:

  1. J'ai entendu parler de ce livre hier justement. "Les cordonniers sont les plus mal chaussés" se révèle souvent vrai. Ceci dit, je n'ai pas très envie de plonger dans cette histoire de famille, avec des adultes qui expliquent aux autres comment vivre sur les antennes et se comportent n'importe comment dans leur vie privée.

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    1. Je comprends, sauf que ce n'est pas l'adulte en question qui parle - et dont on pourrait alors penser qu'il tente de se justifier. C'est l'enfant qui, comme n'importe quel autre enfant, cherche à conquérir l'amour et la fierté de son père. (Sinon, je suis d'accord avec toi, ce pourrait être assez rebutant.)

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  2. Très très très émouvant. Et profond. Je n'en ai fait qu'une bouchée aujourd'hui et il m'a beaucoup touchée.

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