mardi 30 août 2016

A la fin le silence

Laurence Tardieu

Le Seuil, 2016



Ecrire après Charlie.

Laurence Tardieu n’en est pas à son premier livre. Mais le nouveau roman qu’elle a l’ambition d’écrire revêt pour elle une importance toute particulière : alors qu’elle est enceinte de son troisième enfant, la maison familiale niçoise, celle qu’avait construite de ses mains son grand-père italien à son arrivée en France, celle des vacances de son enfance, celle qui renferme tant de souvenirs, allait être vendue. Pour elle, c’est un déchirement, comme si on lui arrachait une partie d’elle-même. Un déchirement d’autant plus violent que ce bâtiment incarnant sa propre histoire et le lien entre les générations va disparaître au moment même où son bébé va venir au monde, le laissant ainsi à l’extérieur de sa sphère intime.
Le projet d’écriture prend alors une importance vitale. Ecrire la maison pour qu’elle ne sombre pas dans l’oubli et pour en faire subsister l’essence. Ecrire pour ne pas perdre la partie la plus impalpable de son être. Ecrire pour transmettre ce qu’on a de plus précieux.

Mais nous sommes à l’aube de l’année 2015. Le 7 janvier, l’auteure est comme chacun de nous foudroyée par le massacre perpétré sur l’équipe de Charlie Hebdo, puis par les effroyables événements qui surviendront au cours des quarante-huit heures suivantes.
D’un coup, le projet littéraire est vidé de son sens. L’écrivain a perdu ses repères, sa géographie personnelle est anéantie. Qu’importe cette maison, qu’elle considérait comme son ultime refuge, quand il ne peut plus y avoir de sentiment de paix, quand tout ce que l’on croyait solidement établi s’effondre, quand la barbarie que l’on croyait définitivement éradiquée fait un retour aussi brutal qu’inattendu dans son monde, quand les valeurs les plus constitutives de la société sont mises à mal ? Quel sentiment de sécurité les murs d’une maison pourrait-ils offrir lorsque l’humanité n’a plus cours ?

Laurence Tardieu met des mots sur ce que nous avons sans doute tous ressenti. Ses questions et ses tourments sont les nôtres. Elle s’interroge : comment continuer à vivre lorsque tout bascule, lorsque tout ce que l’on tenait pour acquis est renversé ?
Ce récit se lit dans un souffle, et s’il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses, il tire sa force de l’élan vital que les enfants, et en particulier le nouveau-né, transmettent à cette femme qui trouve en l’écriture l’ultime réconfort. Quelles que soient les interrogations, malgré le désarroi et l’incompréhension, la vie est là devant elle, devant nous.

25 commentaires:

  1. Ce n'est pas le premier billet laudatif que je lis sur ce livre, mais je ne suis pas sûre d'avoir envie de lire un livre sur les attentats...trop tôt encore, sans doute.

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  2. Je n'ai toujours pas lu Tardieu... Au vu du sujet, je ne crois pas commencer par ce titre pour partir à sa découverte par contre...

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    1. C'était le premier livre que je lisais d'elle, et j'avoue que je ne connaissais pas cette auteure. Pour le coup, en ce qui me concerne, c'est le sujet qui m'a amenée à elle.

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  3. Je suis un peu comme Noukette, le sujet me fait freiner des quatre fers...

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    1. Bon eh bien j'aurai peut-être plus de chance avec ma prochaine lecture...

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  4. Je suis très indécise devant cette lecture ; rien ne presse.

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  5. D'après ce que je lis à propos de cette auteure, elle écrit souvent sur sa propre existence, ses propres questionnements. Aussi, je me demande si ce parti pris autobiographique m'intéresserait...

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    1. Je sais que nombreux sont ceux que ce genre de démarche rebute (ce qui est loin d'être mon cas). En l'occurrence, elle fait part d'une expérience que nous avons tous vécue et en même temps, une expérience traumatisante qui met en cause les fondements même de notre société. Pour ma part, je me suis vraiment retrouvée dans ses mots.

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  6. Personnellement, je n'ai jamais réussi à entrer en empathie avec Laurence Tardieu malgré plusieurs essais. Elle ne doit pas correspondre à ma sensibilité... Et je suis pourtant entourée de fidèles supportrices et laudatrices, mais ça ne prend pas.

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    1. A ça, on ne peut rien. Mais nous avons tant d'autres terrains d'entente !

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  7. Ma seule et unique lecture de Laurence Tardieu a été un échec. Je n'ai pas du tout apprécié son style, son ton que j'ai trouvé larmoyant. A te lire, quelque chose me dit qu'il ne vaut mieux pas que je retente l'aventure avec ce titre : à mon avis, ses tourments et ses questions ne sont pas les miens, et je n'ai pas envie de connaître ceux de Laurence Tardieu...

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  8. Même si ce que tu en dis est superbe, je suis comme Eva tout ça est encore trop frais, trop douloureux. Je ne me sentirais pas capable d'affronter cette lecture.

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    1. Merci pour ton message, Fanny. Je comprends très bien, et il ne faut surtout pas brusquer les choses.

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  9. Un titre qui n'est pas dans ma liste pour cette rentrée littéraire mais peut-être s'y glissera-t-il grâce à ta chronique :)

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    1. C'est drôle comme une même chronique suscite des réactions très différentes ! J'espère que ce livre te touchera.

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    2. C'est la "magie" du partage qui permet cela. Je ne doute pas un instant d'être touchée au vue des thèmes abordés.

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  10. En fait, le sujet ne m'attire pas trop je dois dire ...Pourtant, le livre a l'air très bien.

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    1. C'est un sujet très particulier, il faut bien le reconnaître. Un sujet qui touche chacun d'entre nous, par la force des choses, mais que l'on peut ne pas avoir envie d'aborder de cette manière.

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  11. Je suis sûre que c'est un bon livre ; mais je ne me sens pas disponible pour lire sur ce sujet, pourtant ô combien important. Pour l'instant, j'ai besoin d'évasion. Mais je le note, sur mon carnet de projets de lectures.
    Bonne journée.

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    1. Je comprends très bien. Mais rien ne presse, les livres savent attendre patiemment qu'on vienne les ouvrir.

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