vendredi 17 juillet 2015

Un été avec Kim Novak


Hakan Nesser

Le Seuil, 2014


Traduit du suédois par Agneta Segol et Marianne Segol-Samoy

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Un été partagé entre deux adolescents suédois dans les années 60 : l'auteur réussit un très joli roman d'apprentissage.

Quelle heureuse découverte que ce roman ! Je suis tombée dessus par hasard à la bibliothèque. Attirée par le titre, le beau chignon doré de la couverture et une quatrième qui évoquait l’histoire de deux adolescents et un «roman d’apprentissage», il n’en fallait pas plus pour que je le glisse dans ma besace !

En deux soirées, son compte était réglé - à mon grand dam, car j’aurais bien passé un peu plus de temps en compagnie d’Erik et Edmund (mais je vais me venger sur le challenge Pavé de l’été de Brize : plus de 600 pages au programme, voilà de quoi m’immerger plus longuement dans un univers qui sera, je l’espère, à mon goût).
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt, en l’occurrence, à nos élans !

Hakan Nesser, que je ne connaissais pas, nous emmène le temps d’un été dans le monde si particulier de l’adolescence, ce moment charnière où l’on quitte l’enfance pour entrer dans celui des adultes : l’éveil à la sexualité, bien sûr, la délicieuse expérience de l’autonomie, la découverte aussi des relations parfois violentes entre les individus, le caractère manipulateur des uns, la vulnérabilité des autres et la sincérité qui existe également.
Au sein d’un environnement fort dépaysant, où l’on peut être renversé par un élan, où l’on déguste des harengs et où l’on se baigne au bord d’un lac, à l’orée d’une forêt, Erik et Edmund, copains de classe, vont partager d’heureux jours en compagnie d’Henry, le frère aîné d’Erik. Si les parents sont absents, c’est qu’ils sont accaparés par leurs difficultés: une mère alcoolique en cure de désintoxication pour Edmund, tandis que celle d’Erik et Henry est hospitalisée, étant atteinte d’un cancer : tout n’est pas rose pour ces jeunes garçons, loin s’en faut. En dépit des revers de l’existence dont ils ont déjà une lourde expérience et dont on découvre peu à peu la profondeur, ils conservent cependant une certaine candeur et une soif de profiter de ce que la vie peut aussi apporter d’exaltant.
Nesser excelle à traduire la coexistence entre des attitudes encore très puériles et des velléités de se conduire en adulte. Il parvient à restituer les interrogations qui sont le propre de ce moment de mue et provoque à plus d’une reprise un touchant sourire chez le lecteur, voire un franc éclat de rire.

Comme dans tout roman d’apprentissage qui se respecte, un événement va venir précipiter ce phénomène de mutation et projeter les jeunes gens plus rapidement que prévu dans l’âge adulte, mettant un terme à cet été de rêve, qui restera à jamais gravé en eux.

Même si j’ai pu regretter une fin peut-être un peu expéditive, j’ai vraiment apprécié la saveur subtile de ce livre et l’atmosphère que l’auteur a su créer avec brio. Un excellent moment au coeur de la touffeur de l’été que nous traversons.

mardi 14 juillet 2015

Ce sont des choses qui arrivent


Pauline Dreyfus

Grasset, 2014

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Crise identitaire sur fond du plus noir des épisodes de l'Histoire: l'auteur aborde avec finesse la question de l'antisémitisme en France.

Février 1945 : toute la bonne société se presse en l’église Saint-Pierre-de-Chaillot pour rendre un dernier hommage à la duchesse de Sorrente. On se gardera de commenter les  réflexions jugées déplacées qu’elle pouvait proférer dans les dernières années de sa courte vie, aussi bien que le teint cireux et la terrible maigreur qui avaient pris le pas sur sa grande beauté.

Pourtant le secret qui est à l’origine de sa déchéance et qui ne lui avait été révélé que quelques années avant sa mort était de notoriété publique dans le petit cercle de la haute société. Dans ce monde-là, les enfants nés d’unions illégitimes sont des choses qui arrivent : il faut bien se préserver de l’insondable ennui. 

Mais sa mère n’a pas « fauté » avec n’importe qui. En ces années de guerre, la révélation prend une tonalité particulière. La duchesse qui était si fière de sa généalogie sans tache, se découvre une ascendance juive. Son époux, plus encore, en est horrifié. 

Pauline Dreyfus peint avec talent l’histoire de cette aristocratie déclinante, qui ne joue plus aucun rôle dans la société et qui se meurt d’ennui en sentant sa fin approcher. En la conjuguant avec l’un des épisodes les plus tragiques de notre Histoire, elle donne à ce destin individuel une dimension qui le dépasse : la culpabilité de cette femme frivole incarne ainsi celle de tout un peuple. 
Cette femme qui, par le seul fait de sa naissance, se sentait intouchable, à laquelle tous les égards étaient dus, devient fragile pour la même raison. Elle prend alors conscience de l’absurdité de cet ordre des choses. Tandis que son mari tait ou exploite tour à tour cette filiation en fonction des circonstances, sans jamais voir ce qui se joue chez sa femme, celle-ci en fait une question existentielle. Connaître et reconnaître ses origines à un moment où cela peut lui coûter la vie est une équation qu’elle ne pourra résoudre et qui l’entraînera inévitablement vers la mort.

Avec ce roman bref et parfaitement construit, Pauline Dreyfus révèle l’égoïsme et l’opportunisme de ceux qui traversèrent cette sombre période sans jamais s’interroger sur l’arbitraire, l’injustice et le drame dont était victime une partie de la population, persécutée du seul fait de sa naissance.


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