mardi 1 avril 2014


L’incroyable histoire de Wheeler Burden

Selden Edwards

Cherche-Midi, 2014


Traduit de l'américain par Hubert Tézenas




Une "incroyable histoire" opérant un retour dans la Vienne de la fin du XIXe siècle.

Etonnant roman !
J’avoue avoir eu un peu de mal à y rentrer. Il faut dire que, fort de ses quelque 640 pages, l’auteur a pris le temps de camper le décor et les personnages ! Mais une fois l’intrigue bien installée, je me suis laissé prendre au jeu.

Le point de départ se situe aux Etats-Unis vers la fin des années 1980. Wheeler Burden, un brillant quadra à qui tout semble avoir réussi, se trouve brutalement transporté dans la Vienne de la fin des années 1890, alors que la cité est en pleine effervescence artistique et intellectuelle. Celle-ci lui est familière, puisqu’il lui a consacré un livre. Cependant, passablement décontenancé par la situation, il décide de recourir à l’aide de Sigmund Freud, alors jeune thérapeute, pour essayer de comprendre ce qui lui arrive. Naît entre eux un dialogue dont la teneur - notamment le caractère déterminant du rapport père-fils dans le développement d’un individu - va nourrir tout le fond du roman.

Ce qui fait l’originalité de cette histoire est un ressort somme tout classique de la littérature de jeunesse: le héros projeté dans le passé conserve en effet tous ses repères, ainsi que la connaissance de tous les événements qui doivent advenir. Sa grande interrogation est d’ailleurs de savoir s’il doit ou non intervenir pour modifier le cours des choses. Et la tentation est plus que forte... D’autant qu’il rencontre des personnes qui lui sont proches, comme l’un de ses professeurs de collège, alors tout jeune, qui a été son mentor, ou encore sa grand-mère âgée d’une vingtaine d’années. Là où ça se corse, c’est qu’il rencontre également son propre père, tout droit venu de l’année 1944, celle de sa mort, alors que Wheeler n’avait que trois ans. Ils partagent donc la connaissance du «futur», et notamment du cataclysme de la Seconde guerre mondiale. 
La question qui se pose à eux est la suivante : peut-on faire en sorte de dévier le cours de l’Histoire, pour éviter cette horreur absolue? Mais s’ils le faisaient, c’est leur propre existence qui en serait menacée... 
En fait, on se trouve rapidement pris dans un vertigineux labyrinthe temporel, dans lequel des éléments semés au début de l’histoire viennent trouver leur justification et leur explication à mesure que le récit se déroule, formant une étonnante boucle refermée sur elle-même. Cette dimension fantastique est assez ludique et, même si l’on s’y perd un peu parfois (mais c'est le propre d'un labyrinthe, me direz-vous !), assez réussie.

Ce qui apporte une dimension supplémentaire, c’est la figure tutélaire de Freud, lui-même personnage du roman.
En effet, alors que Wheeler et le célèbre médecin viennois discutent de la théorie de l’oedipe et du rôle fondateur de la relation père-fils, on s’aperçoit peu à peu que tous les personnages du roman ont un compte à régler avec leur propre père. Et ce qui est vrai au niveau de l’individu l’est aussi plus largement au niveau historique. 
C’est ce qui permettrait d’expliquer d’un point de vue psychanalytique la prise du pouvoir par Hitler, qui apparaît furtivement, âgé de huit ans, dans le roman.
D’une part son accession au pouvoir aurait été soutenue par tout un peuple qui a connu l’humiliation de la défaite en 1918 ; d’autre part la haine d’Hitler envers les juifs et sa volonté de les exterminer trouveraient leur source dans une irrépressible soif de revanche sur le sentiment d’humiliation que lui aurait infligé son père durant toute son enfance. 

A vrai dire, je ne sais trop ce qu’il faut penser de cette théorie résumée ici de manière un peu schématique, ni vraiment de ce livre très singulier qui peut déranger par certains aspects.
Mais il s’agit assurément d’une oeuvre originale et déroutante, assez foisonnante, qui peut  à juste titre attirer la curiosité des lecteurs.
Ce que je n’arrive pas encore à mesurer c’est ce qu’il m’en restera sur le long terme...
J’aimerais assez pouvoir échanger avec d’autres lecteurs pour connaître leurs impressions !

A suivre...


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