lundi 29 septembre 2025

Les preuves de mon innocence

Jonathan Coe
Gallimard, 2025

Traduit de l’anglais par Marguerite Capelle



N’était le court prologue sur lequel s’ouvre le récit, on entrerait dans ce roman comme dans n’importe quel autre de ceux qu’a signés Jonathan Coe : en faisant connaissance avec quelques personnages parfaitement campés, des Anglais ordinaires bien ancrés dans la réalité sociale et politique de leur pays. 


Après ses études de lettres, faute de débouchés, Phyl a dû retourner chez ses parents. Elle s’assure un minium de revenus dans un restaurant de sushis de l’aéroport d’Heathrow, où elle découpe du poisson à longueur de journée. Mais en son for intérieur, elle se rêve écrivain. Et pourquoi pas commencer par un cosy crime, histoire de se faire la main avec le genre le plus en vogue outre-Manche ?


Ses horizons littéraires vont pourtant s’élargir lorsque surviennent Chris, un vieil ami de sa mère, et sa fille adoptive Rashida, avec laquelle Phyl se lie rapidement. Pourquoi ne pas s’essayer plutôt à la dark academia ou à l’autofiction, lui suggère-t-elle. Chris, quant à lui, est l’auteur d’un blog dans lequel il s’efforce de mettre à mal les positions ultra-libérales dont l’audience ne cesse de s’étendre et gangrènent le débat politique, menaçant à ses yeux la démocratie. A l’heure de l’entrée en fonction de la nouvelle Première Ministre Liz Truss, Chris serait même sur le point de révéler l’existence d’un rapport secret dévoilant les véritables intentions des partisans néo-libéraux de la nouvelle locataire du 10 Downing Street en matière de système de santé, promis à complète privatisation. Alors que Rashida reste chez Phyl et ses parents, Chris se rend à un séminaire organisé par une poignée de néo-conservateurs, où il ne tarde pas à être retrouvé assassiné…


Ainsi, dans le contexte politique post-brexit d’une Angleterre gagnée par les discours ultra-virulents des néo-libéraux, Jonathan Coe bascule-t-il dans une enquête s’inscrivant dans la plus pure tradition du roman policier à l’anglaise. Il empruntera pourtant d’autres voies narratives pour remonter ensuite le fil du temps et expliquer la manière dont le néo-conservatisme plonge ses racines dans le thatcherisme d’hier, et refermer la boucle de son enquête politico-policière. 


La construction de ce roman est brillantissime. Dans le fond comme dans la forme, Coe n’a de cesse d’interroger le rapport qu’entretient la production d’un discours - qu’il soit oral et de nature politique ou écrit et d’essence littéraire - avec le réel. A l’heure de l’inversion complète des valeurs, où en Angleterre comme partout ailleurs, aux Etats-Unis ou en France, s’érigent en défenseurs de la liberté et de la démocratie ceux qui en sont les plus dangereux fossoyeurs, Coe s’amuse à brouiller les pistes et entraîne son lecteur dans un jeu de faux-semblants qu’il maîtrise à la perfection. Observateur fin et pertinent, il brosse le portrait d’une Angleterre dont les turpitudes ressemblent bien tristement à celles que connaît notre pays. On ne saurait trop le remercier de ne pas renoncer pour autant à s’armer d’humour. Pour mieux atteindre sa cible. Et nous éviter de sombrer dans la consternation et l’abattement.





Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour l'envoi de ce livre et la rencontre organisée avec l'auteur.




12 commentaires:

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    1. Il m'est très rarement arrivé de ne pas accrocher avec un de ses livres...

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  2. Noté en tête de ma liste à acheter, bien sûr ! Je ne réussirai pas à l'attendre en bibliothèque ! Ton avis confirme qu'il me le faut !

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  3. Je m'étais arrêté au roman Le coeur de l'Angleterre. Tu me donnes envie de lire les autres parus depuis.

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    1. Mais oui ! Quel dommage de s'arrêter en si bon chemin ;-)

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  4. Je n'ai toujours pas l'auteur (et je me demande comment c'est possible). Celui-là, il est possible que je n'attende pas la bibliothèque, comme Cath.

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    1. C'est effectivement absolument incroyable ! Il faut bien vite réparer cela ;-)

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  5. Je suis en train de lire et rejoins complètement ton avis. D'autant plus que j'ai la chance de rencontrer l'auteur ce soir dans une librairie de ma ville pour une soirée dédicaces.

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    1. Tu as donc dû passer une très belle soirée :-) J'adore ses livres et j'adore le rencontrer. C'est un homme très fin et bourré d'humour.

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  6. Ce n'est pas sur le cas Jonathan Coe que nous allons nous disputer, aucun risque ;-) Je me suis régalée, of course.

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    1. Certainement pas ! Même si je ne te cache pas que j'aime bien quand on se chicane un peu ;-)

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