Giuliano da Empoli
Gallimard, 2025
Giuliano da Empoli a acquis la notoriété avec la parution de son livre Le Mage du Kremlin, qui en 2022 avait fait pas mal de bruit et remporté au passage le Grand prix de l’Académie française. Il est vrai qu’il y dépeignait, sous une forme fictionnelle, rien de moins que la prise du pouvoir par Poutine et la manière dont il l’exerce.
Ancien conseiller du président du Conseil italien Matteo Renzi, da Empoli a été très impliqué dans la vie politique italienne avant de se consacrer à l’enseignement et à l’écriture. Ses livres sont le fruit d’une réflexion sur le pouvoir, évidemment nourrie par son expérience.
Dans L’heure des prédateurs, il adopte le point de vue d’un « scribe aztèque », c’est-à-dire de celui qui observe et consigne le ballet des chefs de gouvernement et de ceux qui se montrent déterminés à prendre leur place. Soit, de nos jours et dans nos démocraties occidentales, les responsables politiques et les oligarques - désormais issus de la Tech. Ainsi relate-t-il certaines des scènes auxquelles il a eu l’occasion d’assister en fréquentant les « grands » de ce monde, qu’il s’agisse d’une assemblée générale de l’ONU ou de la réception organisée par Obama un an après sa défaite aux élections américaines de 2016. L’écrivain passe d’un épisode à un autre sans souci de chronologie, allant jusqu’à remonter à la Renaissance italienne pour offrir à ce qu’il relate une mise en perspective et en cohérence.
Il ne faut donc pas s’attendre à un essai déroulant un argumentaire visant à étayer une thèse. Si la forme m’a de prime abord un peu déconcertée, elle m’a à l’arrivée pas mal convaincue. D’abord parce qu’elle rend le propos très accessible à quiconque. Ensuite parce qu’en s’appuyant sur un certain nombre d’exemples dont on a entendu parler - ou pas (je ne connaissais pas, par exemple, la politique menée par Nayib Bukele au Salvador), l’auteur, par la qualité de ses commentaires, est d’un éclairage confondant. Il nous permet ainsi de mieux comprendre ce à quoi nous sommes aujourd’hui confrontés.
A voir ce qui se passe aux Etats-Unis, où l’on assiste avec effroi à l’effondrement de ce que nous croyions être le dernier pays où la démocratie et la liberté pouvaient être mises à mal - et en tout cas pas aussi rapidement -, nous sommes en effet saisis par un état de sidération. Chacune des déclarations de Trump ou de Vance, chacun des gestes de Musk nous apparaît comme une gesticulation propre à ouvrir les yeux de ceux qui les avaient élus. Il semblait que cette succession d’horreurs et d’aberrations allaient à plus ou moins brève échéance conduire à les mettre hors jeu. Je comprends à la lecture de ce texte qu’il n’en est rien et je réalise à quel point je reste naïve. Aucune maladresse, aucune erreur dans tout cela. Ces dérapages et ces énormités sont bel et bien contrôlés et ne visent, à l’instar des tyrans qui suscitent l’assentiment de Trump, qu’à restaurer un ordre où la force et non plus l’état de droit fait loi. Ce que nous croyions bien à tort acquis est battu en brèche de toute part.
Tout cela est évidement bien plus qu’inquiétant : redoutablement dangereux. Je ne sais trop quelle conclusion il faut en tirer, si ce n’est que le pire serait de se mettre à trembler en attendant de voir arriver le chaos. « La lutte continue » sont les derniers mots du livre. J’ai plutôt envie de dire qu’il serait temps qu’elle commence vraiment.
Je suis plus tentée par ce titre que par Le mage du Kremlin, dont je ne doute pas des qualités, mais dont le sujet ne me fait pas très envie en ce moment.. tu vas me dire, celui-là doit être aussi désespérant, mais je suis intriguée par la forme adoptée par l'auteur.
RépondreSupprimerPareil, je n'avais pas eu envie de lire Le Mage. Ceci dit, comme tu le soulignes, celui-ci n'invite pas à l'optimisme. Mais le pire est de se voiler la face.
SupprimerJe n'ai pas lu "le mage" non plus. J'ai entendu plusieurs interviews de l'auteur sur "l'heure des prédateurs". C'est très inquiétant c'est sûr, mais ça donne envie d'en savoir plus sur tous les rouages.
RépondreSupprimerDisons qu'il fait un pas de côté, ce qui est souvent très éclairant.
SupprimerOui c'est flippant, et encore je suis sûre qu'il ne dit pas tout... Il a le chic pour donner de la clarté, mais ça n'a rien de réconfortant. J'en parle bientôt :-)
RépondreSupprimerJe m'en doute bien ;-)
SupprimerDéjà pas fan du Mage du Kremlin (je fais figure d'intruse, je sais), je pense passer...
RépondreSupprimerJe ne l'avais pas lu. Mais j'imagine que celui-ci est tout de même assez différent puisqu'il ne s'agit pas d'une fiction. Cela reste une réflexion sur le pouvoir, mais différemment menée.
SupprimerUne lecture pas trop déprimante ?
RépondreSupprimerAlors je ne vais pas te dire que c'est une lecture réconfortante. Ceci dit, ça offre des clés de compréhension à ce qui nous paraît aujourd'hui totalement dénué de sens. A ce titre, c'est plutôt intéressant.
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