lundi 5 septembre 2022

Les yeux fardés

Lluis Llach
Actes Sud, 2015 (Babel 2017)

Traduit du catalan par Serge Mestre


Des livres sur la guerre d’Espagne, j’en ai lu quelques-uns. C’est un sujet qui hante les auteurs de ce pays, et on comprend pourquoi : si la guerre est un traumatisme, une guerre civile l’est peut-être plus encore puisqu’elle produit au sein de la population une fracture que la loi d’amnistie votée après la mort de Franco n’a sans doute pas permis de panser. En jetant un voile sur ce conflit et la dictature qui s’est ensuivie, le silence n’a pu qu’attiser les rancœurs, la défiance et la soif de vérité. Javier Cercas ou Andres Trapiello en ont témoigné dans des ouvrages parmi les plus intéressants que j’ai lus.

Le roman du Catalan Lluis Llach est cependant très différent. Certes, il se déroule en grande partie au cours de cette terrible période, mais il est avant tout un roman d’apprentissage, dont le principal protagoniste est un octogénaire racontant son existence, depuis son enfance passée dans le quartier de la Barceloneta jusqu’à l’âge adulte dans une Espagne désormais sous le joug du Caudillo.

On assiste ainsi à la transformation de Barcelone, cette ville pleine de vie où régnait la solidarité, ainsi qu’un esprit libre et frondeur, avant d’être martyrisée et réduite au silence. Lire ce livre, comme c’était mon cas lorsque je l’ai commencé, alors qu’on se trouve sur place est une formidable expérience, tant l’auteur décrit les lieux avec précision et avec un attachement à certains quartiers et à leurs habitants que l’on devine viscéral.

Mais c’est bien Germinal qui est le héros de ce livre, un jeune homme prenant conscience que les sentiments qu’il nourrit à l’égard de David, son ami d’enfance, sont d’une nature beaucoup plus tendre que ceux qui unissent d'ordinaire deux camarades. Révéler l’amour qu’il porte à son ami lui paraît d’autant plus angoissant que l’homosexualité, même chez les esprits les plus anticonformistes qu’il fréquente, fait l’objet de résistance. Quant à la manière dont elle sera vécue et appréhendée dans l’Espagne franquiste, cela virera sans surprise au tragique.    

A travers la relation qu’il tisse entre Germinal et David, l’auteur noue peu à peu les destinées individuelles et la grande Histoire. Contrairement aux deux auteurs que j’ai cités plus haut, Lluis Llach a choisi de faire de son héros le narrateur du récit, qui s’exprime donc à la première personne, selon un déroulement chronologique. Il nous plonge ainsi dans le chaos des événements pour nous permettre de saisir la manière dont les protagonistes les ont eux-mêmes appréhendés. Au-delà de l’évocation de certains épisodes saillants comme la bataille de l’Èbre et des atrocités perpétrées par les franquistes, il ne manque pas de rappeler aussi les exactions commises par les républicains, en soulignant l’effroi qu’en ont éprouvé leurs propres partisans. Il nous offre ainsi un récit ample et sensible permettant de mieux connaître et comprendre cette période qui continue à tenailler la société espagnole.

13 commentaires:

  1. Je me souviens d'avoir lu avec beaucoup de plaisir "Les femmes de la Principal" du même auteur, peu connu en France. Le thème de la guerre civile y était bien présent également.

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    1. Je crois que Barcelone et la guerre civile sont au coeur de la plupart de ses romans.

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  2. Cela fait echo à un très beau roman graphique que j’ai lu ce week-end sur la vie de Georges Orwell.

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    1. Ah ? J'imagine que ce roman évoque l'épisode au cours duquel Orwell s'est rendu en Espagne pour rejoindre le POUM. Expérience qu'il relatera d'ailleurs dans un livre... que je n'ai pas (encore) lu.

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    2. Oui. Juste un passage mais très marquant

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  3. Je ne connais pas du tout cet auteur. J'ai lu aussi plusieurs fois sur la guerre civile en Espagne, mais je suis loin d'avoir épuisé le sujet.

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    1. Peut-il être épuisé ? En tout cas, il donne lieu à d'excellents livres.

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  4. J'ai lu 2 romans situés en Espagne à l'époque de la guerre civile cette année, c'est déjà énorme pour moi ;-)

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    1. Effectivement ! Ceci dit, les as-tu chroniqués ? Cela ne me dit rien... Peut-être as-tu lu le roman de Sylvie Le Bihan ? (L'autre, je ne vois pas...)

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    2. Effectivement Les Sacrifiés (mon billet arrive, il y a embouteillage) et celui de Laurine Roux "L'autre moitié du monde" (que tu devrais vraiment lire)

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  5. Dans ma pile à lire avec Les femmes de la Principal (grâce à Mr K qui aime bien les romans qui se déroulent en Espagne !)... mais j'ai toujours d'autres livres qui passent avant !

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  6. Rien qu'en lisant son nom j'entends ses chansons qu'on écoutait en boucle avec mes amis de jeunesse...Je ne savais pas par contre qu'il avait écrit ce titre que je note immédiatement...ma médiathèque ne l'a pas mais vient de faire l'acquisition de son dernier "Echec au destin" qui ne parle pas de la guerre d'Espagne mais est une sorte de thriller médiéval. Etonnant non ??

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