mercredi 14 janvier 2015





















Mechtild Borrmann

Le masque, 2014



Aujourd’hui j’ai lu un livre.
Mais les mots me manquent pour en parler.
Ce livre, je l’ai commencé mardi 6 janvier au soir.
Une année nouvelle venait de s’ouvrir. Même si le contexte économique et l’état du monde n’invitaient pas à l’euphorie, on émettait des voeux de bonheur et on avait envie d’y croire.
Dans un geste qui m’est des plus naturels, un geste qui est aussi plein de promesse d’un bonheur possible, j’ai pris un livre et je l’ai commencé. Avec beaucoup de joie et de gourmandise, puisque des blogueuses que j’apprécie avaient su trouver les mots pour faire naître ma curiosité et mon désir.

Et puis mercredi, entre 11h30 et midi, le monde a basculé.
La barbarie s’est abattue sur nous.
Des hommes, une femme sont morts.
A travers eux, c’est la liberté d’expression, la liberté tout court, qu’on tentait d’assassiner.
Puis l’horreur s’est poursuivie.
Un membre de la police. Des juifs.
Des jeunes gens qui avaient la vie devant eux. Et d’autres, moins jeunes, qui n’avaient pas plus de raison de mourir. Des personnes que des fanatiques se sont autorisés à tuer parce qu’elles représentaient ce qu’ils haïssaient.
La tolérance, l’ouverture à l’autre étaient assassinées.

Alors j’ai cessé de lire. L’ultime refuge que constitue pour moi la littérature ne m’a soudain plus été d’aucun secours. Je me suis sentie comme un enfant qui réalise que les bras de sa mère, au creux desquels il se lovait, ne suffisaient plus à faire rempart à la cruauté du monde.
Pendant ces trois jours d’horreur, je n’ai pas lu.
J’ai regardé les chaînes d’information en continu. Pour essayer de réaliser. Pour me convaincre que l’inconcevable était advenu. J’ai passé des heures entières sur facebook pour partager mon effroi avec des gens que je connais et bien d’autres que je ne connais pas. Pour éprouver ce sentiment qui a connu son apothéose dimanche : celui d’appartenir à un peuple qui partage les mêmes valeurs que moi, celles de liberté, de tolérance, de solidarité, celles qui fondent notre république, qui ornent le fronton de nos institutions et qui ont brutalement retrouvé leur substance. Pour retrouver de la chaleur, pour retrouver de l’humanité.

Et puis j’ai repris mon livre.
Parce que la littérature reste mon meilleur lien avec le monde. Parce qu’elle m’aide à le comprendre. Parce qu’elle me permet de réfléchir. Parce qu’elle m’apporte, aussi, une part de rêve. Parce qu’elle est belle. Parce qu’elle est le lieu de tous les possibles. Parce qu’elle m’aide à vivre. Parce qu’elle m’aide à être. Parce que je l’aime plus que tout et parce que je n’offrirai pas à ces fous qui prétendent me terroriser le début de l’idée qu’ils pourraient avoir réussi à m’atteindre.

Alors c’est vrai, ce livre, je l’ai lu comme une somnambule et je suis incapable de vous en parler.
Mais demain plus que jamais, je continuerai à lire, à échanger avec passion autour de mes lectures, sur mon blog, sur le vôtre, sur facebook, avec mes amis, dans les librairies, dans les bibliothèques, dans les salons, partout.
Et j’affirmerai ainsi que notre liberté d’expression n’est pas près d’être vaincue.

6 commentaires:

  1. Merci pour ce billet... Il y a un beau dessin de Lucille Clerc qui montre qu'avec un crayon de papier cassé en plein milieu, on en obtient deux. Bonne continuation à toi.

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    1. Merci Perrine. Effectivement, il faut que cette monstruosité nous incite au moins à redoubler de combativité, à défendre nos valeurs, à ne plus baisser les bras. C'est la responsabilité de chacun de nous, il me semble.

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  2. Bravo pour ce billet. Le violoniste fait aussi partie de mes lectures récentes, mais contrairement à toi, je n'ai pas arrêté de lire, même si c'était plus fragmenté et avec moins de concentration, j'avais besoin de me réfugier dans des romans...

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    1. Je comprends !
      J'avoue que compte tenu du sujet du livre, qui se situe dans l'URSS de Staline, avec son lot de déportation, d'arbitraire et de torture, le refuge était bien peu réconfortant...

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  3. Comme dit sur FB, c'est un très beau billet, qui résume aussi ce que je ressens par rapport à ces évènements. J'aurais été incapable de mettre des mots dessus, alors bravo et merci d'y être parvenue.
    Quant au blog, j'y reviens petit à petit mais ce n'est pas encore ça.

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    1. Je l'ai écrit dans une nuit d'insomnie. Il fallait que ça sorte. C'était ce que je ressentais, et je suis certaine que nous sommes nombreux à partager ces sentiments...
      Je pense qu'il est capital aujourd'hui que les citoyens s'expriment et que leur parole soit prise en compte. On doit retrouver le sens du collectif pour pouvoir vivre ensemble sans rejet ni exclusion de l'autre.
      J'espère en tout cas pouvoir de nouveau te retrouver sur ton blog. A bientôt, j'espère !

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