vendredi 10 novembre 2023

Léa V.

Jérémie Lefebvre
Inculte, 2023



 

Peut-être vous êtes-vous déjà arrêté devant l’une des affiches publicitaires sur lesquelles Léa Seydoux promeut les produits Louis Vuitton. En tout cas, moi oui. Jérémie Lefebvre aussi. La différence entre lui et moi, c’est que je me suis contentée de ruminer le sentiment de colère que cette image suscitait confusément en moi avant de passer mon chemin, quand lui l’a creusé, l’a trituré, a interrogé son indignation jusqu’à en faire ce petit livre d’une exquise insolence, aussi drôle que percutant.

 

Car enfin, à quoi peuvent bien rimer ce regard hautain, cette posture tournant résolument le dos à une œuvre d’art ainsi ravalée au rang de papier peint et ce matraquage sur des arrêts de bus que les clients potentiels de la marque ne doivent pourtant pas beaucoup fréquenter ?

 

Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de Léa Seydoux, se demande l’auteur, pour accepter ce contrat « d'un montant strictement confidentiel » ? La star, en outre héritière de l’une des plus grosses fortunes de France, aurait-elle connu une petite difficulté passagère ? Après tout, les imprévus financiers ne sont pas réservés aux seuls revenus modestes : des travaux importants à effectuer ou une petite tracasserie ayant trait au système fiscal français ont vite fait de vous tomber sur le coin de la figure… A moins que la signature de ce contrat n’ait fait suite à un pari perdu lors d’une soirée bien arrosée avec ses copines actrices : la première qui se vautrait devenait l’égérie d’une marque « vraiment atroce », à définir selon leurs propres critères... Ou alors, suivant un penchant personnel, Léa Seydoux avait-elle simplement eu envie de remettre au goût du jour « le look vieille bourgeoise ». Ou bien encore, contre toute attente, Léa était-elle dans le fond une virulente gauchiste ayant pour objectif de susciter chez ses concitoyens un sentiment de dégoût si vif que le spectacle humiliant d’un mépris de classe exhibé au nez du peuple allait exciter sa colère au point que celui-ci allait enfin se soulever pour renverser le système qui l’opprimait…

 

Avec une fausse ingénuité et surtout une bonne dose d’ironie, Jérémie Lefebvre imagine ainsi une litanie de motifs qui auraient pu conduire l’actrice à incarner la célèbre marque, afin de souligner l’obscénité de cette campagne publicitaire, mais plus encore l’arrogance d’une classe animée par une insatiable et dévastatrice soif de profit. 

 

Si le procédé et le propos ne sont pas neufs, ce pamphlet présenté sous la forme d’une lettre adressée à l’intéressée est un bijou de causticité, d’autant plus opérant que l’auteur interroge dans un deuxième temps la validité de son propre texte à travers le dialogue engagé avec son éditeur. Si j’ai beaucoup ri à la lecture de ce bref opus, j’en ai surtout apprécié la pertinence. J’imagine que certains trouveront le propos outrancier, mais une chose est sûre, il décrypte parfaitement les images dont nous sommes matraqués. Pour moi, c’est tout simplement une œuvre de salut public.

15 commentaires:

  1. Comme je suis curieuse j'ai recherché à quoi pouvait ressembler cette affiche... Ici, petite ville donc bien loin de ces publicités... Mais j'ai apprécié ton regard et ton billet (et sur les affiches moi j'ai le regard attiré par les oeuvres ^_^)

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  2. Je ne sais pas qui est cette Léa Seydoux, ce qui ne doit pas faciliter la compréhension de ce texte...

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    1. C'est une actrice, qui à mon humble avis n'a en plus aucun talent... tu ne manques rien !

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    2. Je partage l'avis d'Ingamic. Quant à toi, tu ne la connais pas. Voilà qui en dit peut-être assez long sur un besoin de reconnaissance qu'elle serait allée chercher hors du champ cinématographique ? Pour te préciser le contexte, Léa Seydoux est la petite-fille de Jérôme Seydoux, président du groupe Pathé, ce qui te laisse imaginer combien elle a dû ramer pour percer dans le milieu. En tout cas, Vuitton ne s'y est pas trompé, qui y a trouvé l'incarnation idéale du public qu'il cible.
      Voilà qui te permettra, si l'envie te venait de lire ce livre selon moi très réussi, de mieux situer son propos.

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  3. Dans ma campagne, il faudrait déjà qu'il y ait des bus, pour que je voie des pubs dans les abribus. Sinon, je sais qui est Léa Seydoux et la liste des différentes explications données semble drôle.

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    1. Au-delà de l'ironie mordante - qui a suscité de véritables éclats de rire de ma part - le dialogue imaginaire qu'il instaure avec l'actrice où chaque argument est réduit à néant avant de passer à l'hypothèse suivante, c'est vraiment la dimension critique qui est intéressante. L'auteur souligne avec beaucoup de pertinence le cynisme insondable de ce que j'appellerais une caste.

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  4. Je me pose régulièrement la question en effet lorsque je vois des "stars" poser pour ce genre de pub. Je n'ai pas vu l'affiche dans ma ville de province, mais on voit d'autres hélas, ça ne manque pas. Un livre ironique là-dessus n'est pas pour me déplaire.

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    1. Disons que là, en plus, on se dit que cette femme est suffisamment à l'abri du besoin pour ne pas faire ce genre de chose. C'est sans doute ce qui pousse particulièrement à d'interroger. Et puis, cette campagne condense tellement de clichés et renvoie à tellement de lieux communs que cela interroge forcément. C'est pourquoi je trouve ce petit ouvrage extrêmement pertinent et percutant.

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  5. Oh ça m'a l'air croustifondant ça... jamais entendu parler et pourtant c'est tout à fait ma came... (moi je retiens que cette "garce" de Léa Seydoux se vautrait dans des draps parfumés avec son amant alors que le cadavre de James 007 n'était pas même encore froid ;-) )

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    1. Moi je te fais découvrir un livre ??? Alors là, tu me fais ma soirée :-D
      Tu vas passer avec lui un moment délicieux. Tu m'aurais vue samedi dernier, au sortir d'Atout Livres Chez ma belle-mère (devant son fameux chocolat chaud ;-) ) éclater de rire le nez dans mon bouquin : j'ai attiré tous les regards !

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  6. Mon commentaire est passé aux oubliettes. Rien de spécial ici, je connais ce nom, mais dans ma province reculée, pas 'affiches (et pas trop e bus non plus)

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  7. J'ignorais le thème du livre mais j'adore déjà, d'emblée :) Mais inconnu au bataillon de ma bibli, dommage !

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  8. Ah ben moi aussi, je me suis demandé pourquoi cette publicité, dans laquelle, soit dit entre nous, je la trouve moche.

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    1. Eh bien, c'est vraiment sa fête ! (Ceci dit, je ne suis pas loin d'être d'accord avec toi. Sans doute cet air de faire la gueule - propre d'ailleurs aux mannequins des pub de marques de luxe...)

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