dimanche 11 septembre 2022

Tenir sa langue

Polina Panassenko
L’Olivier, 2022



Tribunal de Bobigny : Pauline Panassenko attend la réponse à la demande qu’elle a déposée pour reprendre son prénom de naissance, Polina. Celui qui se trouve sur la couverture du livre. Deux ans après la chute du Mur et de l’empire soviétique, ses parents étaient en effet venus s’installer en France, à Saint-Etienne, avec leurs deux filles. Changement de pays, changement de langue, changement de prénom. Classique. Comme tant d’autres avant elle, l’auteure relate cette étonnante transmutation, dont le coeur du processus réside dans le passage d’une langue à une autre et consistant à percer le mystère de tous ces sons dépourvus de sens pour se réinventer peu à peu dans une nouvelle identité et une nouvelle vie.

 

Alors que sa demande a été déboutée, l’auteure déroule un certain nombre de scènes, alternant souvenirs d’enfance, anecdotes familiales, épisodes sombres et évocations plus légères. On est entre la Russie et la France, entre un espace familial et un espace social étrangers l’un à l’autre, entre la perception d’une enfant et celle de l’adulte qui l’observe, dans cette position instable où il faut pourtant se construire.


Polina Panassenko excelle à exprimer ce sentiment de décalage qui surgit jusque dans les moments les plus ordinaires de la vie, les incompréhensions, les malentendus. Le ton est mordant, aucune complaisance dans l’adversité, bien au contraire. Car il en faut de la détermination et de la hardiesse pour faire face aux obstacles qui se dressent de manière incessante. Ce sont ces qualités que j’avais déjà relevées chez des auteurs - mais surtout des auteures - ayant relaté un tel itinéraire : Abnousse Shalmani, bien sûr, Maryam Madjidi ou Laura Alcoba, pour citer les plus talentueuses d’entre elles. 

Dans les textes de toutes ces femmes, j’ai apprécié et admiré l’acuité du regard posé sur notre société, l’humour, et souvent la causticité, avec lequel étaient rapportées leurs expériences, et peut-être surtout la qualité et la précision de l’écriture dans une langue qui ne leur avait pourtant pas été donnée à la naissance.

Autant de caractères que j’ai retrouvés chez Polina Panassenko. Il m’aura cependant manqué quelque chose pour être pleinement conquise. Quelque chose comme une architecture qui organiserait toutes ces briques que pose la jeune femme. Quelque chose qui en ferait un édifice vraiment spectaculaire. Contrairement aux textes des auteures que j’ai citées, j’ai eu en effet l’impression d’une juxtaposition de scènes, avec des allers-retours dans le temps, sans qu’une ligne directrice s’en dégage vraiment. 

Si j’osais une comparaison avec l’univers des séries, je dirais que ce livre m’a fait l’effet de ces formats courts, où l’on retrouve jour après jour les mêmes personnages dans le même décor, avec des dialogues percutants, mais sans véritable début ni fin, pouvant compter quinze épisodes aussi bien que trois cents et prendre fin à n’importe quel moment. Entre le premier et le dernier épisode, les protagonistes n'évoluent pas. 

Mais le plaisir est toutefois là, et le talent incontestable. C'est pourquoi sans doute, malgré ce bémol, je n'hésiterai pas à lire le prochain ouvrage de cette auteure si elle nous le propose.



8 commentaires:

  1. J'ai l'oeil dessus depuis sa sortie. J'ai fait à la suggestion à ma bibliothèque, mais je ne suis pas sûre de patienter.

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    1. Alors là, je ne peux pas t'aider : patienter est un truc dont je suis absolument incapable :-D

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  2. C'est un des premiers romans qui a attiré mon attention mais comme je suis moins assidue sur ces derniers... (elle n'est pas arrivée la bonne année pour moi ;-))

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    1. Tu ne vas quand même pas me dire que tu ne lis plus de premiers romans ??!!!

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  3. Je viens de le terminer, et j'ai beaucoup aimé cette lecture.

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  4. Pour ma part, j'ai beaucoup aimé ce roman : les souvenirs d'enfance, les déboires avec l'administration française, l'humour...

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    1. Il y a beaucoup d'humour, c'est vrai. Un humour corrosif qui a tout pour me plaire.

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