mercredi 14 septembre 2022

Le pion

Paco Cerda
La Contre Allée, 2022


Traduit de l’espagnol par Marielle Leroy



Si vous êtes comme moi, c’est-à-dire si vous ne connaissez des échecs que les règles régissant le mouvement des différentes pièces, peut-être avez-vous une piètre image des pions, qui seraient les éléments les plus insignifiants, ou en tout cas les moins stratégiques du jeu. Les autres, les vrais amateurs, savent sans doute le rôle déterminant qu’ils peuvent jouer. 


Ainsi, en 1962 à Stockholm, lorsque Bobby Fisher avance l’un de ses pions jusqu’à la dernière case de l’échiquier contraint-il Arturo Pomar à opérer un déplacement latéral de son roi qui décidera de la fin d’une partie demeurée historique. 


Quel livre étonnant que celui de Paco Cerda ! Etonnant et ambitieux. Il est d’abord le portrait de deux joueurs hors du commun, l’un qui fut deuxième au championnat des Baléares à l’âge de 10 ans, l’autre qui mit fin en 1972 à vingt-cinq années d’hégémonie soviétique dans le monde des échecs, devenant ainsi une véritable icône américaine. Au-delà de la destinée tragique que tous deux connurent - l’un qui ne parvint jamais tout à fait à se détacher de la figure d’enfant prodige que son pays avait portée aux nues, l’autre qui termina sa vie reclus, proférant à chacune de ses apparitions des propos complotistes et antisémites - c’est aussi une évocation du contexte de la guerre froide à laquelle se livre l’auteur. Car, naturellement, la compétition sportive était - et reste sans doute encore - avant tout un terrain d’expression de la puissance des Etats. Dès lors, les champions qui s’affrontaient devenaient eux-mêmes les pions d’une partie qui dépassait le plateau de 64 cases… jusqu’à ce que ces pions eux-mêmes finissent par vouloir faire échec à ceux qui prétendaient les manipuler.


A un rythme rapide, l’auteur alterne les chapitres relatifs aux champions et à la technique de jeu avec des épisodes de l’histoire des Etats-Unis - entre ségrégation raciale et lutte anti-communiste - et de celle de l’Espagne aux prises avec la dictature franquiste, en jouant constamment sur la métaphore du jeu. Le pion constitue ainsi l’élément clé du récit, qu’il s'agisse de celui que les joueurs poussent sur l’échiquier ou de tel individu pris dans l’Histoire. Tantôt, il est un petit rouage qui contribue à faire fonctionner le monde auquel il appartient, tantôt il est le grain de sable qui va venir gripper la machine. C’est brillant, étourdissant parfois, mais sacrément impressionnant et singulièrement jubilatoire ! Et, je vous rassure, nul n’est besoin d'être un expert des échecs pour apprécier ce livre. En revanche, je suis prête à parier qu'après la lecture de ce roman vous ne les regarderez plus jamais de la même manière !

12 commentaires:

  1. Je n'y connais rien, mais ton bilelt me donne envie!!!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais tant mieux ! C'est exactement l'effet que je voulais obtenir ;-)

      Supprimer
  2. Je n'aurais jamais pensé qu'un roman sur les échecs puissent être à ce point passionnant... il faut dire que je n'y connais rien.

    RépondreSupprimer
  3. Ce ne sera pas une priorité, mais je garde ce roman à l'esprit.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'imagine que ta priorité du moment sont les Américains :-))

      Supprimer
  4. Libé en avait fait un des 6 livres de rentrée soutenus pendant l'été avec présentation et extrait... et il me semblait effectivement intéressant. Je vais voir si j'arrive à lui trouver une place.

    RépondreSupprimer
  5. Comme mes petites camarades, je ne connais rien aux échecs. J'ai du mal à croire que je m'y intéresserais, mais tu es convaincante ..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En ce qui me concerne, ce n'était pas donné d'avance non plus, et pourtant...

      Supprimer
  6. Je n'y connais effectivement rien mais c'est un sujet qui inspire dis donc... Cliché à vérifier : ce sont les scientifiques qui jouent aux échecs, pas les littéraires? ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En ce qui concerne les deux dont on parle ici, ils sont inclassables. Ce sont des espèces de génies des échecs qui leur ont voué leur vie. Mais c'est vrai que moi qui suis purement littéraire, je suis vraiment une très piètre joueuse. D'ailleurs, curieusement, mes fils préfèrent jouer avec leur père (qui n'est cependant pas particulièrement scientifique !) :-D

      Supprimer