samedi 12 mars 2022

Les loups

Benoît Vitkine
Equinox - Les Arènes, 2022



« Trouver du sens au chaos » : telle est la devise de l’éditeur. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle acquiert ici toute sa raison d’être. Benoît Vitkine est en effet correspondant en Russie pour le journal Le Monde. En 2020, il avait publié un premier polar très remarqué, Donbass, qui devait beaucoup aux reportages qu’il avait effectués en Ukraine, un travail salué par le prestigieux prix Albert-Londres. C’est là encore qu’il a décidé d’ancrer son deuxième roman, Les Loups, paru quelques jours seulement avant cet effroyable 24 février et qui dresse un sombre tableau du fonctionnement de ce pays.  


Lorsque s’ouvre le roman, nous sommes au début des années 2010 - sans qu’aucune date précise soit jamais indiquée -, et la femme d’affaires Olena Hapko vient d’être élue à la présidence de la République. Trente jours plus tard doit se tenir sa cérémonie d’investiture. Trente jours déterminants. Trente jours au cours desquels tous ceux qui détiennent les rênes du pouvoir économique vont tenter de la renverser, trente jours au cours desquels tous les coups vont être permis, dans un camp comme dans l’autre.


Car Olena Hapko souhaite donner une nouvelle orientation à l’Ukraine en réformant l’Etat et en développant l’économie nationale. C’est en tout cas sur ce programme qu’elle s’est fait élire.  


Née dans un village des steppes, partie de rien, celle qui a pour surnom la Princesse de l’acier n’est pourtant pas exempte de manoeuvres frauduleuses. Celle que ses homologues préfèrent appeler La Chienne sut tirer profit de la situation que connut son pays après l’effondrement de l’empire soviétique pour conclure des alliances pas toujours très recommandables et satisfaire ainsi ses ambitions personnelles. 


Est-elle sincère dans ses choix ? Nul ne peut vraiment l’affirmer, mais ceux qui veulent réellement un changement préfèrent en faire le pari. Ont-ils d’ailleurs d’autre choix ? Tous connaissent la puissance et l’influence de l’oligarchie - locale aussi bien que russe -  et savent combien celle-ci entend continuer à profiter du système, sans aucun état d’âme.


Benoît Vitkine a fait le choix d’une pure fiction. J’entends par là qu’en dehors de Poutine, me semble-t-il, aucun des personnages n’a d’existence réelle, et l’élection qu’il met en scène ne fait pas référence à un scrutin historique déterminé. Pourtant, mieux sans doute que n’importe quel ouvrage de géopolitique, il permet à ceux qui connaissent mal cette région d’en comprendre le fonctionnement et d’en percevoir les enjeux. Grâce à l’intrigue redoutablement efficace qu’il a su construire et à l'épaisseur qu'il a donnée à ses personnages, Vitkine révèle parfaitement la nature des liens qui unissent oligarques ukrainiens et pouvoir russe, au travers notamment du contrôle des ressources énergétiques, et en particulier du gaz.


Toute la force de la littérature est là : donner accès avec ses moyens propres à l'extrême complexité du monde. Aujourd’hui plus encore qu’hier nous avons impérativement besoin de réfléchir aux moyens de sortir des crises politiques et énergétiques qui font peser des dangers considérables sur l’humanité. Le temps presse. Mais commencer par comprendre est déterminant.

10 commentaires:

  1. Ta remarque sur le pouvoir de la fiction, qui donne des clés pour comprendre le monde, est très juste, et quand elle percute à ce point l'actualité, elle est en effet nécessaire..

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    1. Au-delà du plaisir que j'ai à lire, qui s'apparente d'ailleurs plus à un besoin, la littérature a toujours été pour moi une ouverture sur le monde, un moyen de découvrir et de comprendre des univers qui me sont étrangers. C'est toujours vers elle que je me tourne quand le monde m'apparaît, comme aujourd'hui, à ce point chaotique et hostile. Aussi, dès que j'ai vu ce livre en librairie, je me le suis procurée. Et je dois dire qu'il a pleinement rempli son office.

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  2. D'accord avec toi sur le rôle de la littérature et la fiction qui permettent de mieux appréhender le réel parfois meieux qu'un reportage. Je le note tout de suite, je vais voir si ma bibli l'a commandé. Ils ont "Donbass" qui ne doit pas être mal non plus.

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    1. Je n'avais pas lu Donbass, mais il doit également être intéressant et je me le suis noté aussi.

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  3. C'était ce que faisait très justement Lionel Duroy dans Eugenia lorsqu'il confrontait journalisme et fiction en montrant comment la fiction œuvrait au-delà des faits ; c'est ce que j'aime dans les romans de politique-fiction qui ouvrent des chemins de compréhension du monde via les sentiments humains et facilitent la projection.

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    1. Ici, il y a en plus une dimension policière qui donne au livre un rythme et un ton particuliers que j'ai vraiment appréciés.

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  4. J'aime ce genre de littérature, merci pour ce conseil de lecture.

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  5. Ce livre semble nécessaire aujourd'hui, c'est pourquoi avec le précédent, je les ai réservées à la bibliothèque...

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