Annette Wieviorka
Stock 2021
La Chine, comme l’URSS en son temps, a exercé une fascination qu’on peut aujourd’hui avoir du mal à saisir. Une fois que le temps a passé, quand les cours d’histoire enseignent aux jeunes générations les purges, le goulag, la Grande famine, les méthodes de rééducation ou les séances d’autocritique et surtout les millions de victimes, il est bien difficile de comprendre comment de tels régimes purent être érigés en modèles. Aussi des récits tels que ceux publiés très récemment par Patrick Rotman, l’excellent Ivo & Jorge, ou ce témoignage de l’historienne Annette Wieviorka apportent de ce point de vue un éclairage extrêmement précieux.
Annette Wierviorka, qui est aujourd’hui directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la Shoah, avait environ 25 ans lorsqu’elle s’envola avec mari et enfant pour la Chine où ils passèrent deux ans, de 1974 à 1976. Elle relate les conditions dans lesquelles ils furent accueillis, comment ils vécurent - à la chinoise, mais selon tout de même des aménagements spécifiques et souvent appréciables ! -, son expérience de professeure de français, sa frustration d’être considérée toujours comme une étrangère et les relations qu’elle entretenait avec ses étudiants d’une part et avec les autres expatriés venus comme elle participer à ce gigantesque laboratoire de l’Homme nouveau. Elle évoque des souvenirs extrêmement précis, rendant son texte vivant et très accessible. Ce faisant, elle partage à la fois les attentes qu’elle avait alors, ses espoirs, son amour pour un peuple et un pays qu’elle apprenait à connaître, loin des discours idéologiques dont elle avait été nourrie.
Peu à peu, l’écart se creuse entre les dogmes et ce qu’elle découvre de la réalité du pays. En déroulant le fil des souvenirs qu’elle a longtemps préféré tenir à distance, elle exprime ce qu’elle n’avait alors pas pu reconnaître et révèle un processus de dessillement qui fut cause par la suite d’un épisode de dépression.
En lisant l’ouvrage de Patrick Rotman, on saisit parfaitement comment l’histoire de l’Europe de la première moitié du XXe siècle et la Seconde Guerre mondiale ont pu constituer le terreau d’une véritable ferveur pour le régime soviétique. En lisant celui d’Annette Wievorka, on comprend que les ressorts de l’engouement pour le régime chinois étaient d’une autre nature, plus intellectuelle, reposant exclusivement sur des postures idéologiques - auxquelles une minorité ne renonça d’ailleurs jamais. La recherche d’un monde plus juste est sans aucun doute le dénominateur commun de ces deux formes d’aveuglement qui déboucha d’un côté comme de l’autre sur un sentiment de culpabilité, une forme de désespoir pour les uns et un âpre cynisme pour d’autres…
Ces deux livres sortis quasiment en même temps, bien qu’ils soient extrêmement différents l’un de l’autre, me semblent constituer un excellent diptyque pour comprendre notre histoire récente : des lectures à recommander sans modération !
J'ai entendu l'autrice récemment à la radio, c'était fort intéressant. J'ai son âge, à quelque chose près, donc j'ai connu cette époque là, mais pas du tout dans le même milieu social. Le mien bien plus modeste, ni étudiant, ni intello et je peux te dire que la fascination pour la Chine ne disait rien à personne ! C'était un truc d'intello. Quand j'entends ce genre de témoignage, j'ai l'impression très nette que je ne vivais pas sur la même planète.
RépondreSupprimerTon témoignage va donc tout à fait dans le sens de ce que met en lumière Annette Wierviorka ! Contrairement au soutien à l'URSS, celui en faveur de la Chine ne provenait que de certaines sphère intellectuelles. Ce n'était pas un mouvement populaire.
SupprimerUn point de vue qui parait intéressant.
RépondreSupprimerIl l'est ;-)
SupprimerC'est une femme et une autrice tout à fait passionnante, j'ai eu l'occasion de l'écouter à de nombreuses reprises, sur d'autres sujets et je ne doute pas de l'intérêt de ce livre. Après, je t'avoue que la Chine et moi ça fait bien plus que deux... ;-)
RépondreSupprimerMoi, ce n'est pas tant la Chine qui m'intéresse, que la fascination qu'elle a pu exercer... Et cette femme est passionnante, je suis d'accord.
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