mardi 2 mars 2021

Lëd

Caryl Ferey
Les Arènes, Equinox, 2021



Imaginez un froid intense. Pas celui que nous avons connu il y a quelques jours, assorti de son joli manteau neigeux. Non, je vous parle de températures pouvant atteindre les -50 à -60°C, un truc qui vous crame les poumons à peine avez-vous mis le nez dehors, avec des vents furieux durant parfois plusieurs jours. Sans oublier la nuit polaire, des semaines entières sans voir le soleil se lever. Ajoutez à cela un taux de pollution record, dû notamment à l’exploitation forcenée des gisements de nickel et autres métaux dont les sous-sols regorgent, et vous avez une idée de ce qu’est Norilsk, en Sibérie, qui sert de cadre au nouveau roman de Caryl Férey ! Sympa, non ?


Côté personnages, il y a Gleb, un mineur qui est aussi un talentueux photographe ainsi que l’amant de Nikita, un solide gaillard travaillant également à la mine ; Dasha, qui n’a pas son pareil pour créer des vêtements avec trois bouts de tissu et qui arrondit ses fins de mois en se produisant dans un club de pole dance ; Valentina, blogueuse et fervente défenseur de la cause environnementale ; l’inspecteur Ivanov, muté à Norilsk pour avoir effectué son boulot avec un peu trop de zèle, où il a épousé Anya, atteinte d’un asthme chronique que le médecin du cru se révèle impuissant à traiter. Voilà pour les principaux protagonistes de ce polar qui en compte une belle galerie. Et c’est bien là sa force.


Car s’il y a une classique intrigue policière, avec un cadavre découvert dès les premières lignes du livre et qui servira de fil rouge aux plus de cinq cents pages qui vous attendent, Caryl Férey nous offre surtout un extraordinaire tableau de la ville de Norilsk et, plus largement, de la Russie d’aujourd’hui, fille de décennies de régime communiste ayant enfanté à l’occasion de sa chute une oligarchie et une mafia qui gangrènent aujourd’hui la société.

Autour de cette intrigue principale se nouent différents destins individuels qui sont l’occasion de révéler les terribles maux dont souffre le pays - implacable homophobie, ségrégation en tout genre, séquelles encore vivaces du stalinisme et corruption se diffusant à tous les niveaux de la société.


C’est une incommensurable violence que nous dépeint Caryl Férey, à laquelle il semble difficile, voire impossible d’échapper. Une violence qui, en se conjuguant avec un climat d’une terrifiante rigueur, rend les conditions de vie à peine supportables. Mais c’est avec une évidente tendresse qu’il nous présente ses personnages et les fait vivre sous sa plume. C’est sans doute ce qui rend ce polar si attachant et permet au lecteur de le dévorer d’une traite malgré l’effroi qu’il ne peut s’empêcher de ressentir.


10 commentaires:

  1. Je suis attirée par les thèmes traités par cet auteur, mais je ne me décide pas à le lire à cause de la violence, très présente d'après ce que j'ai compris.

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    1. Alors là, je suis très à l'aise pour te répondre parce que j'avais exactement les mêmes freins que toi. C'était mon premier livre de l'auteur, justement car il est différent. La violence est immense, celle dont je parle dans le billet, mais c'est une violence sociale. Elle fait des dégâts considérables et elle est effroyable, mais il ne s'agit pas, comme dans le cas d'autres romans de Férey, je crois, se déroulant dans des dictatures d'Amérique latine, de faire couler du sang à toutes les pages. Au contraire, on sent qu'il aime tellement ses personnages - qui sont inspirés des personnes qu'il a rencontrées sur place, qu'il y a énormément d'empathie. Si le sujet et l'auteur t'intéressent, n'hésite pas.

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  2. Nous sommes prévenu : il faudra s'accrocher.

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    1. Le contexte est violent, mais l'écriture, elle, ne l'est pas.

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  3. Je suis en train de le lire; et même si je n'ai pas le temps de lire d'une traite,j'aime beaucoup !Comme tout ce que fait Caryl Férey, d'ailleurs !

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    1. C'était mon premier. Je crois savoir que ce roman est assez atypique dans sa production. En tout cas, on est d'accord, c'est très réussi !

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  4. mon fils de 15 ans a un pavé énorme de cet auteur et il ne lit pas, et j'avoue que le livre ne m'attire pas du tout...

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    1. Mais ton fils, lui, il aime ? Il ne lit pas en général, ou bien il ne lit pas ce livre-là... Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris :-)

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  5. Je retrouve bien la patte Caryl Ferey dans ce que tu en dis, c'est un auteur que j'apprécie énormément (tant pour ses romans jeunesse qu'adultes d'ailleurs).

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    1. Je ne savais pas qu'il écrivait aussi pour la jeunesse !

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