mercredi 11 juillet 2018

Manquent à l’appel

Giorgio Scianna

Liana Levi, 2018


Traduit de l’italien par Marianne Faurobert


On aurait tort, parfois, de s’en tenir à la première impression que nous a faite un auteur. Le précédent roman de Giorgio Scianna qui relatait l’histoire de deux adolescents m’avait quelque peu laissée sur ma faim. Mais il faut croire que cette période de la vie m’intrigue... tout comme elle aiguillonne l’écrivain. Il nous revient en effet avec des héros âgés d’une quinzaine d’années et une histoire résolument ancrée dans notre actualité qui, pour cette raison, a de nouveau suscité mon intérêt.

Lorenzo, Roberto, Anto et Ivan sont quatre lycéens, quatre amis appartenant à la classe moyenne du nord de l’Italie. Quatre ados comme il en existe tant, parlant foot et musique, ayant un compte facebook et obtenant des résultats scolaires plus ou moins satisfaisants. Aucun conflit notable avec les parents ne vient entacher le quotidien des uns ou des autres, et tout ce petit monde se connaît et se côtoie d’ailleurs avec bienveillance. Bref, rien que de très ordinaire.
Pourtant, à la rentrée, ces quatre-là manquent à l’appel. Ils ne sont pas revenus de leur séjour en Grèce et n’ont donné aucun signe de vie. Ils ne répondent plus aux appels téléphoniques et ont cessé de consulter les réseaux sociaux. La police a beau interroger leurs camarades de classe, nul n’a la moindre idée de ce qu’ils auraient pu décider de faire. Quant aux parents, ils sont très régulièrement réunis au sein d’une cellule de crise dirigée par un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères.

Quand s’ouvre le roman, nous sommes déjà fin novembre, et l’enquête demeure au point mort. Tout ce que l’on a retrouvé, c’est une valise contenant leurs serviettes de plage et leurs maillots de bain dans un hôtel de Bodrum, en Turquie. 
Le lecteur se fait pourtant rapidement une idée du projet qui a pu germer dans l’esprit de ces gamins. Scianna alterne en effet un point de vue extérieur, selon l’avancée de l’enquête, et la narration des événements depuis celui de l’un des jeunes garçons, Lorenzo. On comprend ainsi qu’ils ont été séduits par des vidéos de propagande djihadiste et qu’ils sont partis dans l’espoir de rejoindre un camp d’entraînement en Syrie, non sans avoir préalablement fait une étape prolongée sur l’île grecque de Kos...

Si la tournure que prennent les événements manque parfois de crédibilité - ce que j’avais déjà relevé dans le précédent roman de Scianna - cela ne m’a cette fois pas vraiment gênée et ne remet nullement en cause l’intérêt de ce roman que j’ai lu avec fébrilité et non sans un certain effroi. 
Car tout l’intérêt du livre, me semble-t-il, réside dans le décalage entre la situation personnelle et l’environnement social plutôt protégés des garçons et la manière dont ils se montrent pourtant réceptifs à des messages allant à l’encontre de toutes les valeurs qui leur sont transmises. Leur petite virée balnéaire en dit d’ailleurs assez long sur leur incapacité à prendre la mesure de ce qui les attend, tandis que les parents sont à mille lieues d’imaginer, à quelque moment que ce soit, un tel scénario.

Si Scianna n’apporte pas à proprement parler d’explication à cet inquiétant phénomène, il a le mérite de l’interroger et de nous mettre en garde. Aussi difficilement concevable que cela puisse paraître, ces messages d’une parfaite maîtrise technique, esthétiquement soignés, voire teintés de lyrisme, prétendant valoriser un engagement total pour une cause et mettant en scène un sentiment d’appartenance à une communauté, peuvent susciter chez des jeunes gens en plein développement, n’ayant pas de vision claire de leur avenir et s’apprêtant à entrer dans une société dominée par un individualisme forcené, un véritable élan d’adhésion.
Il ne faudrait pas en minimiser la portée car il s'agit d'un fait avéré tant en Italie - comme en témoigne l'auteur dans une postface - qu'en France et sans doute ailleurs. A la lumière de telles situations, sonder le malaise ressenti par les plus jeunes et leur proposer un autre projet de société que "chacun pour soi" et "sois le meilleur" apparaît indispensable et urgent. 





13 commentaires:

  1. Je ne suis pas attirée du tout par les romans sur les ados, je vais passer mon tour.

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  2. Je suis plutôt intriguée par ce roman que je n'avais pas repéré... à voir en bibliothèque !

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    1. J'ai été attirée dès sa sortie, mais comme je n'avais pas été convaincue par le précédent, comme je le dis dans mon billet, j'étais très hésitante... Du coup, quand je l'ai trouvé en bibliothèque, j'ai sauté sur l'occasion, et je ne le regrette pas !

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  3. Scianna aurait pu prendre des voix prévisibles et faciles, il ne l'a pas fait (du moins, je n'ai pas trouvé). Bref, pour sa façon de traité du sujet, je trouve qu'il apportait un point de vue différent. Tout ça pour dire que j'ai beaucoup aimé, malgré quelques petits bémols.

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    1. Je viens de lire ton billet qui, curieusement, m'avait échappé. Le bémol dont tu parles, est-ce la fin ouverte, comme tu dis ? C'est vrai qu'elle est un peu étrange, pas hyper crédible et c'est bien ça que l'on pourrait selon moi reprocher au bouquin. Je trouve que ces jeunes gens vont et viennent un peu facilement, compte tenu de l'endroit qu'ils souhaitent atteindre. Mais disons que je l'ai pris un peu comme une fable. Une fable cependant très réaliste...

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    2. Oui, la fin ouverte m'a quelque peu agacé. Surtout qu'elle laisse entrevoir le pire. Un petit côté improbable, comme une fable!

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  4. Je lis beaucoup de romans jeunesse pour ados, ceux en littérature "adulte" qui parlent des ados me paraissent toujours plus décevants.

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    1. C'est comme tout, il ne faut pas généraliser. Il y en a de très bons, et celui-ci m'a paru intéressant... :-)

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  5. J'avais lu l'avis de Marie-Claude. Pas du tout tentée, j'ai vu déjà deux reportages sur ces jeunes "sans histoire" partis et souvent décédés. J'ai vu les parents,dévastés et qui resteront sans réponse, ayant juste un SMS leur annonçant la mort de leur fils. Cela me suffit grandement !

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    1. Marie-Claude avait au moins autant aimé que moi, pourtant !
      Bon, si la littérature ne devait traiter que les sujets légers, on ne lirait que des livres de... non, pas de noms ! :-)
      Quoi qu'il en soit, certains livres nous aident à appréhender notre monde, y compris dans ce qu'il a de plus terrifiant...

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  6. je crois bien que je vais le noter!

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