Elena Ferrante
Gallimard, 2018
Traduit de l’italien par Elsa Damien
Et voilà. Il fallait bien que le moment de mettre un point final à cette prodigieuse histoire d’amitié arrivât. Comme d’innombrables lecteurs - et surtout d’innombrables lectrices - j’attendais ce quatrième volume avec une irrépressible impatience. Mais une fois que j’eus le bonheur de le tenir entre les mains, plus je m’approchais de la page ultime, plus je redoutais le moment de quitter définitivement Lila et Lenù.
Pourtant, il faut l’avouer, ce quatrième tome ne démarrait avec le même souffle que les précédents, et ma lecture en fut d’abord un peu poussive. La première époque était celle de l’enfance, lorsque se nouent ces amitiés «à la vie à la mort» et que la découverte du monde invite à la complicité autant qu’à la rivalité. Sur fond de Naples des années 50, ces deux gamines avaient quelque chose d’un peu universel qui est peut-être l’une des clés de l’incroyable succès de ce roman. On y décelait déjà les luttes qu’elles allaient devoir mener pour tenter de s'affirmer dans un monde dominé par les hommes.
Dans le second opus, intitulé Le nouveau nom, les deux jeunes femmes essayaient de s’élever socialement, l’une par le biais du mariage, l’autre par celui de l’instruction. Aux prises avec leurs échecs, leurs désillusions, mais toujours avec la même pugnacité, on les retrouvait dans un troisième volume plus politique. Leurs combats personnels se conjuguaient avec ceux d’une époque où les prises de position et les engagements s’exprimaient dans la rue de manière collective.
Or, les contours de ce quatrième volume apparaissent plus flou. On y voit Elena s’enliser dans sa relation amoureuse avec Nino, un homme épris de pouvoir, mais dénué de courage, un homme aimant séduire, mais incapable d’amour, bref un homme superficiel et inconséquent dont on voudrait la voir s’éloigner. En ces premières pages, Lila n’est qu’une ombre qu’Elena s’attache à tenir à distance, tandis qu’elle-même semble avoir un peu perdu de son aura. Là où il y avait de la combativité, de la hargne et de la rage, parfois, on fait désormais face à une forme de résignation. Elena s’efforce de poursuivre la voie qu’elle s’est tracée, dont les enfants et l’activité professionnelle sont le résultat de choix qu’elle a faits et avec lesquels il lui faut désormais avancer, composer.
Evidemment, cette période de la vie paraît bien moins exaltante. Pourtant, en dépit d’une baisse d’intensité romanesque, on continue de suivre la destinée de Lenù avec une certaine tendresse et il faut bien dire qu’on éprouve, peut-être plus que jamais, de l’empathie avec cette femme qui ressemble à tant d’autres. Car avec quoi se débat-elle désormais ? Avec les injonctions qui lui sont constamment faites de choisir... et de renoncer. Renoncer à une carrière professionnelle pour être une «bonne» mère, ou au contraire renoncer à ses enfants pour assouvir une ambition personnelle, renoncer à son amant pour conserver sa «respectabilité»... comme si une femme ne pouvait se construire - et se définir - que dans le renoncement.
Et pour tenter de faire face, tout se passe d'abord comme si Elena se trouvait amputée d’une partie d’elle-même, l’empêchant d’avancer. Ce n’est qu’au bout d’une centaine de pages, lorsque réapparaît enfin le personnage de Lila, que l’on retrouve le rythme, le ton et la puissance de cette formidable saga. Car la force de cette histoire réside évidemment dans la relation faite autant d’amour que d’affrontement qu'entretiennent ces deux femmes. Du début à la fin, elles se construisent dans le regard qu’elles se portent l'une l'autre. Leurs différences sont un trésor qui leur permet de s’aiguillonner mutuellement. Elles se nourrissent de leurs forces, mais aussi de leurs faiblesses respectives, au point parfois - et dans ce dernier volume plus encore que dans les trois autres - de sembler se confondre en une femme unique aux prises avec ses différents désirs, ses doutes et ses contradictions.
Après avoir vécu trois ans aux côtés de ces deux femmes, ayant lu les volumes au rythme de leur publication, j’avoue que je me sens aujourd’hui un peu orpheline. Mais je suis certaine qu’un jour ou l’autre, aux heures où l’on a des choix importants à faire, où l’on dresse des bilans, où l’on réfléchit à ce qu’on a fait ou ce qu’on veut faire de sa vie, je repenserai à Lenù et Lila, et elles continueront ainsi longtemps à m’accompagner.
Je comprends mieux ton comm chez moi car il m'avait bien semblé ne pas avoir vu de billet sur ton blog...
RépondreSupprimer:-))
SupprimerDu coup, je suis moins impatiente de le lire. Comme c'est le dernier, je préfère attendre un peu pour ne pas savoir trop vite comment tout ça va se terminer. ..
RépondreSupprimerMais de toute façon, tu vas finir par le dévorer ;-)
SupprimerOn le voit beaucoup ces temps-ci ce quatrième tome ! Je vais me préparer à attaquer la série avec une certaine curiosité. Vais-je être aussi séduite que vous ?
RépondreSupprimerDisons que, là, ton attente doit être assez démesurée, ce qui est toujours un peu dangereux. Mais bon, je ne doute pas que cette histoire puisse être à la hauteur :-)
SupprimerBizarrement (ou pas), je ne suis pas du tout attirée par cette saga... Elena Ferrante fait partie de ces auteurs que je n'ose pas lire parce qu'on en entend parler tellement partout que ça me bloque. J'ai le tome 1 dans ma bibliothèque et je sens que je ne suis pas là de l'ouvrir, sûrement à tort mais bon.
RépondreSupprimerJe comprends très bien. J'ai moi-même fait l'impasse sur certains livres dont j'avais beaucoup trop entendu parler à mon goût. Quoi qu'il en soit, ces livres seront toujours là si un jour la curiosité s'éveillait...
SupprimerJe te lis en diagonale tout comme les différents billets ou articles qui accompagnent la sortie de cet ultime volume. Que je me garde encore un peu au chaud histoire de faire durer le plaisir :-)
RépondreSupprimerRésisteras-tu longtemps ? J'en serais bien étonnée :-))
SupprimerJ'ai lu les deux premiers d'affilé, je vais m'attaquer aux deux derniers un de ces jours ☺️
RépondreSupprimerBelle et bonne lecture à toi alors :-))
Supprimercela fait drôle de les quitter!
RépondreSupprimer