Amulya Malladi
Mercure de France, 2018
Traduit de l'anglais (Inde) par Josette Chicheportiche
D’Amulya Mulladi, j’avais lu l’an dernier Une bouffée d’air pur, qui m’avait suffisamment séduite pour que je m’empare de son nouveau roman, récemment publié aux Etats-Unis (les quatre livres qu’elle a écrits entre les deux restant à ce jour inédits en France).
Après s’être intéressée à la catastrophe de Bhopal et à ses séquelles sur la population indienne, elle évoque aujourd’hui la GPA (gestation pour autrui), sujet délicat s’il en est, mais ô combien d’actualité.
J’avoue que je craignais un peu, en ouvrant le livre, de me heurter à un plaidoyer. Qu’il soit en faveur des mères porteuses ou non, je redoutais de lire un livre manichéen portant un regard moral sur la question. Or, il n’en est rien. Amulya Malladi témoigne à nouveau ici d’une parfaite maîtrise dramatique et mêle les destinées de deux femmes absolument étrangères l’une à l’autre, évoluant dans des mondes et des cultures que tout oppose, sans se départir d’une égale finesse psychologique à l’égard de ses deux héroïnes.
Si Priya est d’origine indienne, elle est née et a toujours vécu aux Etats-Unis. Après plusieurs fausses couches, elle convainc son mari d’avoir recours à la GPA pour avoir cet enfant dont elle rêve. Pas si facile, pourtant : l’entourage n’est pas toujours prêt à accepter une telle démarche. Surtout lorsque celle qui portera le bébé est une femme issue d’un pays en voie de développement. Quel choix celle-ci a-t-elle vraiment de louer son corps ?
La question vaut d’être posée. Asha a déjà deux jeunes enfants qu’elle aime tendrement. Son petit garçon, âgé de cinq ans, manifeste des compétences exceptionnelles pour son âge. Il aurait besoin d’étudier dans un établissement spécialisé... largement au-dessus des moyens de ses parents. Bien qu’elle répugne à porter un enfant qui ne serait pas le sien, Asha finit par se laisser convaincre par son mari. Pour offrir un véritable avenir à son fils, elle fera ce sacrifice. Mais ici aussi, il faut se cacher. Que dirait-on d’elle si cela se savait ?
Amulya Malladi ne cache rien des questions, des doutes, des peurs de chacune des deux femmes. D’un côté, l’angoisse de vivre une grossesse à distance, de ne pas être «connectée» à son enfant et, peut-être, de ne pas savoir être mère. L’envie d’être attentive à ce que ressent la mère porteuse, de répondre aux souhaits qu’elle pourrait émettre, sans être intrusive. Ne pas créer de lien qu’il faudrait ensuite briser. La peur que cette femme ne prenne pas soin d’elle, et donc du bébé.
Quant à Asha, empêcher les sentiments de naître à l’égard de l’enfant qu’elle va mettre au monde est un combat de tous les instants. Et puis, l’enfant qu’elle porte est-il plus important que ceux qu’elle a déjà eus ? Elle qui a accouché chez elle, sans médecin, sans avoir jamais eu la moindre échographie reçoit aujourd’hui des soins médicaux et une attention dont jamais elle n’a bénéficié auparavant. Certaines vies ont-elles plus de valeur que les autres ?
Les questionnements surgissent peu à peu sous la plume délicate d’Amulya Malladi, sans qu’il y ait jamais de parti pris ni de jugement de valeur. Elle ne donne pourtant pas dans l’angélisme et pointe finement ceux à qui l’égal partage de détresse profite.
Tu me donnes vraiment envie de découvrir cette auteure ! Je n'accroche pas toujours avec la littérature indienne, mais elle m'attire pourtant assez irrésistiblement.
RépondreSupprimerPersonnellement, je suis plutôt attirée par la littérature indienne, au contraire de toi. Mais je crois que cette auteure vit aux Etats-Unis (je ne sais pas depuis quand), et ça se sent dans son écriture. Je pense qu'elle pourrait te plaire.
SupprimerSon précédent roman ne m'avait pas vraiment tenté à cause du sujet, celui-ci m'intéresse beaucoup plus, et tu donnes vraiment envie.
RépondreSupprimerMais j'en suis ravie ! C'est une auteure qui a beaucoup de sensibilité, et il en faut pour approcher un tel sujet...
SupprimerDes questionnements intéressants.
RépondreSupprimerEt oui. J'aime quand la littérature s'empare des sujets de société.
SupprimerC'est un sujet vraiment d'actualité et l'auteur semble en montrer tous les questionnements.
RépondreSupprimerOui, c'est ce qui fait la qualité de ce roman. L'auteure ne prend parti ni pour l'une ni pour l'autre femme.
SupprimerTrop longtemps que je n'ai pas lu de littérature indienne. Je me rends d'ailleurs compte que je ne lis que des plumes féminines dans cette littérature (avec Bulbul Sharma comme chef de file !).
RépondreSupprimerOui, en effet, beaucoup de belles plumes féminines, en Inde... comme ailleurs :-)
SupprimerJolie chronique. Bravo !
RépondreSupprimerJean-François Mézil
Merci Jean-François :-))
SupprimerAborder ces questions là sous l'angle purement humain, c'est le seul moyen à mon avis de les comprendre un peu mieux. Une auteure à découvrir.
RépondreSupprimerJe ne saurais trop t'y encourager :-)
SupprimerJe l'ai vu hier en librairie et ai eu la même appréhension que toi malgré ma tentation: un plaidoyer. Si pas le cas, je le note.
RépondreSupprimerAlors tu peux :-)
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