lundi 10 avril 2017

Principe de suspension

Vanessa Bamberger

Liana Levi, 2017



Grandeur et servitude d'un petit patron...

Le travail, son organisation et la manière dont l’individu peut y trouver sa place étant des questions qui me préoccupent tout particulièrement, c’est avec un intérêt certain que j’ai abordé cette nouvelle lecture proposée dans le cadre des 68. D’autant que l’approche en est originale, puisque l’auteure a choisi pour héros de son roman un patron de PME, ce qui est suffisamment rare dans le paysage littéraire, me semble-t-il, pour le souligner.

Or donc, lorsque s’ouvre le livre, Thomas est dans le coma, terrassé par une crise d’asthme survenue alors qu’il se débattait avec les graves revers subis par son usine d'embouts pour inhalateurs. Refrain hélas bien connu, son principal commanditaire a en effet décidé de délocaliser la fabrication de ces éléments, tandis que son directeur R&D (Recherche & Développement, pour les néophytes) choisissait précisément ce moment pour partir à la concurrence.
Quant à Olivia, sa femme, artiste peintre totalement velléitaire, elle se débat avec ses frustrations en élevant ses enfants, tout en gérant les affaires domestiques. Au sein du couple, la passion s’en est allée depuis bien longtemps pour céder la place à un quotidien peu glamour. Par le jeu de l’alternance des chapitres, Vanessa Bamberger nous fait tour à tour entendre la voix de cette desparate housewife et celle de Thomas dans les jours qui précédèrent le drame. Aux questions d’ordre socio-économique se mêle donc celle du couple et de sa capacité à perdurer.

Visiblement, l’auteure, journaliste de formation, a voulu passer à la fiction pour prendre la défense de ces petits patrons qui sacrifient leur vie personnelle pour se consacrer à leur entreprise et qui sont victimes, tout comme les salariés qu’ils emploient, des effets délétères de la mondialisation et du dumping social auquel elle aboutit. Soit. Cela correspond en effet à la réalité. Mais est-ce parce que l’auteure a voulu traiter deux sujets de front ou bien parce que ses personnages m’ont semblé caricaturaux qu’elle ne m’a pas vraiment convaincue? Je n’ai éprouvé aucune empathie ni pour Thomas, qui semble trop vite débordé par la situation alors qu’il était présenté comme un homme de conviction ayant fait le choix de la PME pour se mettre au service du redéploiement économique de sa région et améliorer les conditions de travail des ouvriers, ni surtout pour Olivia, qui donne l’impression de se laisser complètement porter par les événements sans jamais prendre sa propre vie en main, attendant tout de son mari. 
La plume est alerte et le sujet mérite qu’on s’y attèle. Mais celui-ci est ambitieux et demanderait selon moi à être traité avec plus de finesse. Même si le roman est agréable à lire, il est dommage que du patron du laboratoire pharmaceutique dont dépend l'usine de Thomas aux délégués syndicaux - présentés comme des «aboyeurs» -, le trait soit trop grossier. A cela s’ajoutent quelques réserves sur la happy end qui m’est apparue un peu facile et angélique. Des défauts que l'auteure parviendra certainement à corriger dans ses prochains romans...

Une fois de plus, Nicole et Joëlle m'ont devancée, ainsi que Benoît



Les 68 Premières fois, sélection de janvier 2017

 de Sarah Baruck, Albin Michel
La plume de Virginie Roels, Stock
La sonate oubliée de Christiana Moreau, Préludes
La téméraire de Marie Westphal, Stock 
Les parapluies d’Erik Satie de Stéphanie Kalfon, Joëlle Losfeld 
Marguerite de Jacky Durand, Carnets Nord
Marx et la poupée de Maryam Madjidi, Le Nouvel Attila 
Mon ciel et ma terre de Aure Attika, Fayard
Ne parle pas aux inconnus de Sandra Reinflet, Jean-Claude Lattès 
Nous, les passeurs de Marie Barraud, Robert Laffont 
Outre-mère de Dominique Costermans, Luce Wilquin 
Presque ensemble de Marjorie Philibert, Jean-Claude Lattès
Principe de suspension de Vanessa Bamberger, Liana Levi

15 commentaires:

  1. j'ai eu la même déception que toi sur ce sujet qui me paraissait si intéressant.
    Aucune empathie non plus de mon côté pour Thomas et Olivia... Un livre qui se lit agréablement mais sans plus...

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    1. Oui, on se retrouve sur ce titre ;-)
      C'est dommage, le sujet était prometteur...

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  2. Tout ça mérite discussion, le sujet est vaste et je n'ai pas du tout les mêmes réserves que toi car c'est au contraire le mélange des deux versants de la vie de Thomas qui m'a plu et convaincue... De quoi complexifier encore des alchimies déjà bien subtiles... On ne peut pas dissocier le patron et l'homme. Et là, le passif de Thomas peut expliquer sa volonté de se rêver en preux chevalier... qui va finalement se heurter à des réalités de terrain qu'il a sans doute sous estimées... J'arrête là mais je brûle d'échanger de vive vois :-) !

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    1. Oui, on commence à avoir un sacré retard, Nicole ! Il faut vraiment qu'on se trouve une date... et qu'on prévoie du temps ;-)

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  3. Vu tes réserves, je ne vais pas me précipiter.

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    1. Ça peut se comprendre... d'autant que tu pourrais avoir déjà Piégée sur le feu... si je puis dire ;-)

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  4. J'ai personnellement aimé le personnage de cette femme, Olivia, qui va au gré du roman prendre progressivement son destin en main pour s'émanciper de son mari qui l'étouffe 😉

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    1. Oui, ça participe de la happy end, qui surgit comme un coup de baguette magique (un peu facile le coup du "deux ans plus tard" sans qu'on sache ce qui arrive au cours de cette période. C'est pourtant ça qui serait intéressant). Et puis, alors qu'elle se voulait une artiste sans compromis, la voilà qui se met à faire le trompe-l'oeil qu'elle vilipendait jusqu'alors. Non vraiment, je n'y crois pas à ce personnage...

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  5. Dommage, le sujet me plaisait plutôt bien... Je note quand même que Nicole est plus enthousiaste que toi (au cas où ce roman croiserait ma route !)

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  6. C'est vraiment dommage. L'idée du patron de PME comme héros, l'alternance des voix... ça me parlait bien. Jusqu'à ce que j'arrive au milieu de ton billet et sente ta déception. N'empêche, je garde le titre dans un coin de ma tête.

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    1. Mais oui, il s'agit bien d'une déception parce que mon attente était importante au vu du sujet. Mais je ne suis pas aussi tranchée que je peux l'être parfois et le livre peut tout à fait être lu.

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  7. j'ai aussi du mal avec les happy end mais si c'est du Liane Levi... pourquoi pas!

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    1. J'avoue que le Liana Levi que je suis actuellement en train de lire me séduit infiniment plus...

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