lundi 30 janvier 2017

Ce que tient ta main droite t’appartient


Pascal Manoukian

Don Quichotte, 2017



Terrorisme et djihadisme au cœur d'un roman sans concession.

Si vous avez lu Les échoués, son poignant premier roman, vous savez que Pascal Manoukian, ancien reporter de guerre, ne cherche pas à travers la fiction à proposer une vision édulcorée du sujet dont il s’empare. Il ne considère pas le roman comme un terrain de divertissement, mais peut-être plutôt comme une forme lui permettant de porter un regard différent sur ce dont il a pu être témoin, notamment dans son activité professionnelle, et je lui en sais gré. Après avoir dépeint la condition des migrants, il s’intéresse cette fois au terrorisme islamique. Autant vous dire qu’on n’aborde pas cette lecture avec légèreté...

Manoukian utilise comme point de départ un attentat perpétré à Paris, à la terrasse du Zébu blanc, un café du Xe arrondissement, qui n’est évidemment pas sans rappeler les terribles événements que nous avons connus en novembre 2015. Son héros, Karim, d’origine algérienne, musulman non pratiquant, est sur le point d’avoir un enfant avec la jolie Charlotte. A eux deux, ils forment un couple heureux et confiant en l’avenir. Mais Charlotte est l’une des victimes du Zébu blanc, et Karim doit faire face à l’insondable douleur. Pour rester debout, il éprouve le besoin de comprendre et de remonter à la source de ce carnage.
Par le biais d’Internet et des réseaux sociaux, il entre alors en contact avec des responsables de Daech afin de partir pour la Syrie, avec le projet un peu flou, et surtout un peu fou, d’approcher l’un des chefs de cette organisation. A la nécessité de comprendre et de toucher du doigt l’origine de ce qui a détruit sa vie se mêle un irrépressible besoin de rendre la douleur. 

Je ne vous dirai rien de plus de l’intrigue magistralement menée par l’auteur. Car tout son talent est là, dans son habileté à construire une fiction qu’on ne lâche pas, en compagnie de personnages auxquels on s’attache très vite, mais qui évoluent dans un paysage que l’on sait scrupuleusement documenté et malheureusement très réaliste. Evidemment, certaines scènes sont insoutenables, précisément parce qu’on a pu voir relater des faits similaires dans la presse. Mais par le regard de son héros, Manoukian réussit toutefois à ramener une étincelle d’humanité là où tout n’est que barbarie, et l’on parvient dès lors à aller au bout de ces terribles moments. 
Mais surtout, et il le doit sans aucun doute à la connaissance qu’il a acquise sur le terrain, il ne se contente pas de décrire les événements. Il explique, par un contexte économique, par un contexte géopolitique, par le constat d’un mouvement progressif mais généralisé vers une forme d’aculturation, la manière dont on en arrive à voir l’impensable exister. Il démonte avec précision les mécanismes de recrutement des terroristes. Il donne à voir l’escalade, il montre sur quels terreaux naissent la haine et la violence. Il porte un regard sans concession, mais jamais dénué d'humanité.
Il en ressort un roman d’une grande force, d’une belle intelligence, servi par une écriture  fluide et efficace, élégante et juste.

Une fois de plus, Nicole et moi sommes sur la même longueur d'ondes ! De même que Joëlle.




29 commentaires:

  1. Comment vous dire de bonheur vous lire quand on a mis autant dans une histoire. Merci. Ça m'encourage pour le prochain dont je viens juste d'envoyer ce soir le pitch à mon éditeur. Et puis vous avez vous même une écriture fluide, efficace, élégante et juste. Pascal.

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    1. Oh ! Venant de vous, le compliment me touche infiniment !
      Merci, vraiment, pour vos livres.

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  2. Wow! Quel vibrant billet.
    Je suis justement plongé dedans. Avec les attentats qui ont eu lieu hier soir près de chez moi, c'est une lecture d'autant plus éprouvante...

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    1. Tu fais référence, je suppose, à l'attaque qui a eu lieu contre un centre culturel islamique. L'escalade de violence est l'une des choses que l'on peut craindre le plus.
      Outre sa qualité littéraire, ce roman permet de comprendre les mécanismes à l'oeuvre dans ces phénomènes. Il est vraiment excellent.

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  3. Je n'ai pas encore lu le premier ; je commencerai par lui.

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    1. Pour le coup, je pense que l'on peut indifféremment commencer par l'un ou par l'autre. Ils sont également bons. Peut-être l'écriture m'a-t-elle semblé plus aboutie dans celui-ci : normal, l'auteur se bonifie livre après livre ! Voilà qui promet pour la suite ;-)

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  4. Bien sur que je le lirai, j'avais été soufflée par "les échoués"! Merci pour ce beau et vibrant billet.

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  5. Oh l'avis de l'auteur, très classe!

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  6. Je n'avais pas fait attention au premier commentaire... la classe!

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  7. Il me tente bien celui-ci ! Et quel beau remerciement de l'auteur !!! :-)

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    1. Avec des messages pareils, il est certain que ça encourage à donner le meilleur de soi-même sur son blog !
      Toujours pas envie d'y revenir, Véronique ? ;-)

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    2. Et non, toujours pas , je m'y suis "astreinte" pendant des années mais aucune envie pour l'instant de revenir à ce format ! Mes quelques mlgnes sur Facebook me conviennent et me permettent de ne pas perdre le lien avec mes copinautes ! :-)

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  8. Je m'étais dit que je ferais l'impasse vu le sujet mais ton enthousiasme (parfaitement argumenté) pourrait me faire changer d'avis.

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    1. Je suis ravie si je t'ai fait changer d'avis ! Le sujet, c'est sûr, n'est pas glamour. Mais c'est vraiment étonnant de voir à quel point Manoukian est capable de faire entrer les sujets les plus durs et les moins romanesques qui soient dans de véritables espaces de fiction.

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  9. Le début de l'histoire est juste affreux, j'en ai déjà la chair de poule! On ne peut pas lire pareille histoire sans penser aux horreurs qui se passent chaque jour dans notre monde.

    J'ai sorti dernièrement Les échoués de ma bibliothèque et ÉVIDEMMENT, je plongerai sur celui-ci!

    Félicitations pour le joli commentaire de l'auteur :)

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    1. Merci Laeti. Ce commentaire m'a bien sûr comblée de joie… comme ton retour par ici ;-)

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  10. tu n'es pas la seule à avoir apprécié, je crois. J'avais tellement aimé Les Echoués que je lirai forcément celui-là. Quel auteur de talent !

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    1. Si tu as aimé Les échoués, tu devrais également apprécier ce nouveau roman : un autre sujet, mais une même pâte et un même talent. Bonne lecture !

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  11. Un beau billet pour un livre percutant !

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  12. Je ne voulais pas le lire au départ, mais je vais le faire, difficile de passer à côté visiblement. Je vais cependant attendre un moment propice, où je serai prête avec le sujet.

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    1. Je ne sais pas si on peut jamais être prêt à affronter un tel sujet... Mais il est certain qu'il vaut mieux bien choisir son moment et ne pas faire comme moi, qui l'ai lu à un moment où je connaissais beaucoup de tensions. Mais, vraiment, il est à lire.

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  13. Très beau billet Delphine et bel hommage de l'auteur!

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