Dominique Manotti
Points Seuil (Les Arènes, 2020)
En 1962, les Accords d’Evian marquaient la fin de la guerre d’Algérie. Ce pays obtenait son indépendance, engendrant un exode massif des Pieds-Noirs vers le sol hexagonal. Le point final était-il mis à ce conflit ? Pas si sûr. En tout cas pas pour tout le monde. Onze ans plus tard, faisant suite au durcissement de la politique gouvernementale de la France à l’égard de la population immigrée, l'extrême-droite utilise un fait divers dans lequel un traminot marseillais a trouvé la mort pour orchestrer une campagne exigeant l’arrêt de « l’immigration sauvage ». En dépit de l'appel des collègues de la victime à ne pas utiliser la mort d'un des leurs à des fins racistes s’ensuivra une vague d’assassinats qui fera en quelques semaines une quinzaine de victimes nord-africaines et près de cinquante sur l’ensemble du sol français.
C’est autour de ces faits que se déploie le roman de Dominique Manotti qui imagine une enquête sur le meurtre de Malek Khider, 16 ans, atteint de trois balles tirées à bout portant. C’es le commissaire Daquin, jeune Parisien projeté dans la cité phocéenne, qui la mènera. Encore pour cela devra-t-il nager entre les eaux troubles des différents services de police dont certains sont noyautés par les tenants de l’Algérie française. Ce qui explique que les pièces à conviction subissent une altération les rendant inutilisables, que les témoignages soient triés sur le volet et que le meurtre soit rapidement requalifié en règlement de comptes.
La postface de l’auteure indique assez combien ce polar s’appuie sur des événements historiques et un contexte soigneusement documenté. Le déroulement de l’enquête concentre tout ce qui a pu être mis en oeuvre pour taire de manière systématique le caractère raciste des meurtres qui se sont alors multipliés : la presse était utilisée pour jeter le discrédit sur les victimes, le mobile raciste nié pour avancer une soi-disant rivalité entre voyous, et quasiment aucun assassin n’aura été arrêté (d’après Dominique Manotti, deux condamnations seulement, avec sursis pour l'un, le second - un sous-brigadier de la police urbaine - succombera quant à lui fort opportunément à une crise cardiaque peu après son incarcération…).
Un très intéressant polar, donc, qui restitue parfaitement l’époque trouble qui fit suite, côté français, aux « événements d’Algérie ». Voilà une agrégée d’histoire qui a parfaitement négocié son passage à la fiction !