mardi 11 avril 2023

La voix de Sita

Clea Chakraverty
Globe, 2023



S’il y a encore pas mal de chemin à faire en faveur de la condition des femmes, force est de constater qu’on n’en est pas au même point dans toutes les régions du monde. En la matière, l’Inde demeure l’un des pays où la situation est le plus dramatique. Les violences qui leur sont faites atteignent en effet un niveau proprement insoutenable : viols, brûlures à l’acide, meurtres restent monnaie courante, sans même parler des mariages forcés et de l’état d'asservissement dans lequel elles sont si souvent placées. Sans oublier les avortements contraints lorsqu’elles sont enceintes d’une petite fille.


Clea Chakraverty, qui a vécu plusieurs années en Inde où elle a été journaliste et dont le patronyme laisse penser qu’elle y a quelque origine, a tiré de ce constat un roman passionnant. Passionnant parce qu’il ne s’agit pas d’un nouveau récit se contentant de mettre en scène une victime ou une femme cherchant à s’émanciper. Elle a en effet choisi d’aborder la question selon un angle tout à fait original permettant d’interroger les fondements culturels de ces pratiques d’un autre âge. Revenant aux sources de la culture indienne, elle sonde le Ramayana, cette épopée retraçant notamment l’union du prince Rama et de Sita, qui sera enlevée par un autre personnage, ce qui aura pour conséquence de faire peser sur elle une accusation d’adultère. 


Ainsi, à l’occasion du dixième anniversaire de la mort de Nirbhaya, une jeune fille qui fut violée et subit d’atroces sévices dans un bus de New Delhi, et alors que les responsables politiques et religieux du pays continuent de considérer les femmes comme responsables des violences qui leur sont faites, le jeune avocat Madhu Chandra a-t-il l’idée d’assigner en justice le dieu Ram lui-même. Il suscite aussitôt de virulentes réactions de la part d’une partie de la population, emmenée par Shri Yogi Abhinyav, premier secrétaire de la VAR, la Véritable Armée de Ram, organisation fondamentaliste hindoue. Afin que chacun des deux hommes puisse faire valoir ses arguments, un débat télévisé est organisé. Madhu doit donc fourbir ses armes et, pour cela, tente de prendre langue avec Zulfiya Wallace, une anthropologue ayant étudié le Ramayana pour mettre en lumière les différentes interprétations qui furent faites du texte - attirant ainsi sur elle les mêmes foudres que Mahdu.


C’est ensemble qu’ils partent à la recherche de Sati, une mystérieuse adolescente habitée par Sita et s’adressant aux femmes qui, à mesure que sa renommée grandit, viennent de plus en plus nombreuses recueillir la parole de celle qui passe désormais pour la réincarnation de la déesse.


Clea Chakraverty a mis en place un dispositif là aussi assez original, entrecroisant plusieurs fils narratifs - l’histoire de Sati, le procès intenté par Madhu et les tribulations de Zulfiya - et laissant place à diverses voix et différents types de prise de parole. Si, assez logiquement, les différents éléments narratifs se rejoignent pour donner à l’intrigue une dimension tout à fait intéressante, l’auteure intercale également différentes interventions permettant de définir très précisément le contexte social et politique dans lequel elle s’inscrit. Ainsi, les stories d’une instagrameuse  populaire viennent-elles ponctuer le récit de précieuses informations. Utilisant les codes de l’appli, c’est avec force hashtags, selfies avantageux et formules visant à instaurer la complicité  avec ses followers que Miss Fantastic expose toutes sortes de statistiques rappelant la réalité de la condition des femmes indiennes. Ce personnage, pour marginal qu’il puisse paraître dans l’histoire, est pourtant emblématique du tiraillement d’une société prise entre une conception traditionnelle et une autre plus urbaine et contemporaine de la place des femmes en Inde. Un contraste que l’on retrouve également entre des éléments de récit légendaire et d’autres résolument ancrés dans la réalité quotidienne qui se mêlent avec une étonnante fluidité.


Tout cela donne à ce roman une couleur singulière et rend le propos extrêmement efficace et convaincant. Sera-t-il de nature à susciter un mouvement féminin de grande ampleur comparable à celui qui se forme peu à peu en son sein ? Rien n’est moins sûr. C’est pourtant ce que l’on aimerait croire.


2 commentaires:

  1. Il y a matière à m'intéresser dans ce roman et à apprendre aussi sur cette culture si éloignée de la nôtre.

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    1. Oui, ce roman est très riche, en plus d'être très plaisant à lire.

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