dimanche 16 juin 2019

Neptune Avenue


Bernard Comment

Grasset, 2019




New York... la ville qui ne dort jamais. Bruissant le jour de l’activité incessante de ses habitants, brillant la nuit de l’éclat ininterrompu de ses enseignes lumineuses. 
Imaginez pourtant un instant que plus un son ne s’y fasse entendre, et que la cité sombre dans la plus parfaite obscurité dès le coucher du soleil. Imaginez-la gagnée par une atmosphère pré-apocalyptique, nimbée au petit matin d’une clarté laiteuse avant d’être écrasée par une touffeur que plus aucun système de climatisation ne viendrait combattre... 

Reclus dans son appartement du vingt et unième étage d’un gratte-ciel de Brooklyn, un homme est à l’affût des mouvements et paroles de ses voisins. Eux sont encore là. Mais pour combien de temps encore ? Depuis la gigantesque panne d’électricité qui s’est abattue sur la ville, les habitants désertent progressivement les lieux. S’approvisionner en eau, en nourriture, voire en médicaments, quand on est comme lui affligé de terribles douleurs articulaires, est de plus en plus hasardeux. Sans ascenseur, la moindre sortie s’apparente à une expédition sans merci...

Une question lancinante le taraude : Bijou, sa jeune voisine, absente depuis plusieurs jours, reviendra-t-telle ? Ce ne serait pas la première fois qu’elle s’absente ainsi. Privé d’informations - même les prises de parole du président bouffon, qui n’en est pourtant pas avare, ne parviennent plus à la population dont les portables, ordinateurs et autres postes de radio ne sont plus alimentés, il en est réduit à faire des suppositions et à convoquer ses souvenirs. Au gré de ceux-ci, le narrateur nous livre son histoire. Venu s’établir à New York pour approcher Bijou dont il a été jadis en Europe un ami proche de la mère, il est à la fois séduit et déconcerté par cette jeune femme, dont les traits se dessinent peu à peu. 

Attaché à elle par un lien dont il ne peut qu’entrevoir la nature, et se sachant condamné par la maladie, il souhaiterait lui léguer les biens qu’il a acquis au cours d’une carrière dans la banque, la mettre à l’abri. Mais elle refuse toute forme d’attachement à la richesse et aux biens de consommation, et prône la décroissance. Il s’efforce d’envisager l’avenir, tandis qu’elle ne veut vivre qu’au jour le jour. Il pense sécurité quand seule la liberté l’intéresse. 

A travers ces deux personnages, Bernard Comment révèle avec délicatesse ce moment très particulier que nous traversons. Ce passage incertain entre deux mondes que peu d’années séparent - une génération peut-être -, mais que tout semble opposer. Un monde qui a changé si vite que tout ce qui pouvait en constituer hier les repères familiers semble aujourd’hui relégué au statut de vieillerie antique. Un monde dont les valeurs se sont profondément transformées. Hier encore, nous consommions jusqu’à l’écoeurement, nous repaissant de tout ce que nous croyions être notre dû sans imaginer que nous hypothéquions l’avenir. Aujourd’hui, nous voici pris entre fuite en avant, angoisse, déni et optimisme forcené... Pour quelle issue ?

Un texte comme un songe, entre rêve halluciné, nostalgie et interrogation. 

7 commentaires:

  1. Je dirais volontiers comme Eimelle ! intrigant et néanmoins intéressant...

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    1. Alors à toutes les deux, je répondrais : laissez-vous tenter ;-)

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  2. Ce n'est parce que c'est un auteur jurassien (comme moi), mais j'ai aimé plusieurs de ses textes (nouvelles et romans). Je note celui-ci dont j'ai lu le plus grand bien.

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    1. C'est vrai ? J'en suis ravie, car quant à moi je n'ai vu passer que très peu d'articles...

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  3. Alors je tiens à dire que je ne suis pas contente du tout car je ne reçois absolument plus les notif quand tu postes. Mais en même temps... Vu la tentatrice que tu es... Tu comprendras qu'en voilà un autre noté précieusement.

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    1. Mais comment est-ce possible ? Heureusement que tu connais le chemin ;-)

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