mercredi 27 avril 2016

Le Cercle

Dave Eggers

Gallimard, 2016


Traduit de l'américain par Emmanuelle et Philippe Aronson


1984 au XXIe siècle.

Ce roman commence de manière tout à fait banale. En Californie, la jeune Mae Holland débarque sur le campus où le Cercle, la firme qui l’a embauchée, a installé ses locaux. Elle est éblouie tant par la modernité des lieux que par l’attention portée par l’employeur à ses collaborateurs : suivi médical scrupuleux, prise en charge totale des soins, mise à disposition de structures sportives, proposition d’activité culturelles d’une incroyable diversité, conférences, fourniture gracieuse de toutes sortes de produits dernier cri, cafétérias design et conviviales... Des groupes de rock viennent se produire, des fêtes sont constamment organisées... Pour la firme, rien n’est trop beau pour ses collaborateurs : si ceux-ci sont épanouis et en bonne santé, l’entreprise en sera la première bénéficiaire.

Tout ce qui se passe au sein du campus est publié sur les réseaux sociaux. Chaque collaborateur possède son propre compte, grâce auquel il est informé en temps réel de toutes les manifestations où il peut se rendre, peut être contacté à tout moment par ses supérieurs hiérarchiques ou les autres membres de l’entreprise et est invité à commenter les différents événements - que ceux-ci le concernent ou non. Chacun est en permanence connecté avec le reste de la communauté.

Le trio de jeunes entrepreneurs qui a fondé le Cercle est extrêmement fier de sa création. Si fier qu’il ne songe qu’à l’étendre à l’ensemble du monde. Et quels meilleurs ambassadeurs pourrait-il avoir que ses propres employés ? Ne sont-ils pas heureux de profiter de tout ce qui leur est proposé ? Le suivi médical et le système de prévention dont ils bénéficient ne leur permettent-ils pas de réduire les risques de maladie ? Leur avis n’est-il pas réellement pris en compte ? La sécurité n’est-elle pas maximale et ne permet-elle pas d’éradiquer toute forme de délinquance et de criminalité ?
Pour en faire la preuve, Mae accepte de devenir « transparente », c’est à dire de porter une micro-caméra qui permet aux internautes du monde entier de la suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans le même temps, le Cercle développe un programme permettant de numériser tous les documents et toutes les données existant sur tout et sur tout le monde : plus rien ne doit rester secret. Si tout devient accessible, plus de place à la corruption, aux malversations, aux crimes...

Sous le couvert d’une société idéale capable de protéger les individus contre toute forme de menace, Dave Eggers dessine progressivement les contours d’un monde totalitaire où chacun s’expose au regard des autres. Ce faisant, il met en garde contre les effets pervers des réseaux sociaux, qui mettent à mal la sphère privée. Non sans une pointe d’ironie parfois, il souligne les excès auxquels nous invitent Facebook et consort. Qui n’a jamais perdu des heures à faire défiler des posts sans intérêt sur son fil d’actualité, likant tel ou tel message, scrutant le succès rencontré par ses propres publications ?
Poussé à l’extrême, ce système met totalement à nu les individus qui peuvent ainsi perdre jusqu’à la part la plus intime de leur être. Mais ils perdent aussi et surtout leur libre-arbitre et leur liberté.

Ce roman propose une peinture sans concession de notre société, à la fois exhibitionniste et voyeuriste, et sur les risques qu’elle engendre. Quoique avec un style sans aspérité, l’auteur développe habilement son intrigue et pointe de manière souvent pertinente nos travers contemporains.
Il me semble néanmoins que ce pavé de plus de cinq cents pages aurait gagné à être un peu élagué pour être encore plus percutant. Son propos aurait ainsi gagné encore en puissance. Un propos qui fait cependant froid dans le dos...

31 commentaires:

  1. Intéressant. Avec un peu de chance l'auteur sera au festival america?

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    1. Je viens de regarder : pour l'instant ce n'est pas le cas. Mais la liste peut encore évoluer.

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    1. C'est ce que j'ai trouvé aussi en lisant la quatrième. Malgré mes petites réserves, je ne regrette pas ma lecture.
      Ravie de te revoir ici, en tout cas ;-)

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    2. Merci ! :-) Je continue de te lire même si je ne commente pas... ;-)

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  3. 500 pages qui auraient mérité d'être élaguées, j'hésite..

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    1. Demande conseil à ton libraire pour trancher ;-)
      Sinon, attends de le trouver en bibliothèque...

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  4. 500 pages c'est long en effet et pas toujours nécessaire. Mais le thème est de plus en plus d'actualité.

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    1. Ah ça c'est sûr ! C'est bien pour ça que j'ai voulu lire ce livre.

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  5. Je dirais même plus Aifelle, 500 pages, c'est toujours trop long pour moi ;)

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    1. Mais non, Jérôme, je me souviens que tu as commenté un pavé il n'y a pas si longtemps que ça ;-)

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  6. Ce qu'il y a de plus terrifiant, c'est peut-être bien que ce n'est pas tant que ça un "roman", en fait.

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    1. C'est certain, il y'a des moments où l'on n'ose se reconnaître, soi-même ou son entourage...

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  7. Je le vois un peu partout ce livre, le sujet est en effet percutant. J'attendrais son arrivée à la BM, 500 pages ne me font pas peur.

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    1. Quand c'est bien, ce n'est jamais trop long !
      En l'occurrence, les quelques petites longueurs que j'ai soulignées passent quand même bien au final.

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  8. J'ai prévu de le lire, lorsqu'il sortira par ici. Pour ce thème somme toute peu abordé en littérature, je vais craquer. Dommage pour les longueurs...

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    1. Oui, mais comme je le disais à Electra, rien de catastrophique ! Tu peux y aller !

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  9. J'aime Dave Eggers, il faut que je le relise.

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    1. Je n'avais jamais rien lu de lui avant. J'avoue que je ne le connaissais même pas...

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  10. Voilà un sujet qui m'intéresse énormément, et du coup l'occasion de découvrir cet auteur dont je n'ai encore rien lu.Je le note.
    Même si le sujet n'est pas du tout traité de la même façon, est-ce que tu avais lu L'ordinateur du paradis de Benoît Duteurtre ? Une réflexion pleine d'humour sur notre société de l'exposition permanente...

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    1. Vraiment intéressant en effet comme sujet.
      En revanche, je t'avoue que je n'avais pas du tout accroché avec le roman de Duteurtre. Je ne me souviens plus très bien, mais je crois que je n'avais pas du tout aimé le ton, justement.

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    2. Ah oui ? J'avais bien accroché, l'idée que nos traces numériques nous suivent par-delà la mort était assez croustillante. Le ton, je ne me souviens plus mais c'était assez cynique je crois. Bref, je vais me pencher sur le Eggers (sûrement très différent) pour voir.

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    3. Mon souvenir est flou et, en plus, je crois que je n'avais pas dû le lire jusqu'au bout. Mais il me semble que j'avais trouvé que ça manquait un peu de mordant.

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  11. Ça m'a l'air tout à fait dystopique ça, dans mes cordes !

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    1. Dystopique ? Oui, mais tant que ça en fait ! Enfin, en tout cas, certains aspects ne sont pas si loin que ça...

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  12. Le thème est en effet fort intéressant. Est-ce que tu penses qu'il est abordable (sous forme d'extraits bien sûr) avec des élèves de collège ?

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    1. Ecoute, il se trouve que le post que j'ai publié sur FB relatif à ce billet a suscité un commentaire de Jean-Philippe Blondel qui est, outre le talentueux écrivain que tu connais, prof d'anglais dans le secondaire. Or il avait lu le bouquin en anglais et compte en faire étudier des extraits à ses élèves. Ceci étant dit, je crois que ce sont des lycéens. Je peux lui poser la question, si tu veux.
      Quoi qu'il en soit, j'ai envie de te répondre la même chose qu'à lui, à savoir qu'il me semble très important d'amener les jeunes générations à s'interroger sur leurs pratiques et leurs usages des réseaux sociaux, qui font partie intégrante de leur environnement naturel. Donc je trouve ça vraiment bien que des enseignants s'emparent de ces questions au travers des matières qu'ils enseignent.

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  13. Pourquoi pas, je trouve le thème intéressant, et pour avoir lu Zeitoun, je pense accrocher à l'écriture, même si 500 pages, ça me semble beaucoup.

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    1. Cela aurait en effet gagné à être plus court, mais ça passe quand même...

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  14. Un roman qui me plairait bien je pense.

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