jeudi 10 mars 2016

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus)

Frédérique Martin

Belfond, 2016


Frédérique Martin s'amuse à distordre notre univers pour mettre en évidence les dangers qui nous guettent...

Tout d’abord, je souhaiterais exprimer ma gratitude envers les blogueurs qui m’ont incitée à dépasser mes petites préventions personnelles pour aborder ce recueil de nouvelles, que j’aurais sans cela naturellement boudé, étant adepte de formats plus longs. En dehors des nouvelles de Maupassant et de Villiers de l’Isle-Adam, véritables orfèvres en la matière, je n’ai pas dû en lire beaucoup… et je ne suis plus loin de penser que c’est sans doute une grosse erreur ! En tout cas, Frédérique Martin pourrait bien m’avoir réconciliée avec le genre. 
Il faut dire que ses textes, au-delà de leur indéniable qualité littéraire, présentent une remarquable cohérence. Prise individuellement, chaque nouvelle nous installe de plain-pied dans une atmosphère très particulière et, à l’exception d’une ou deux peut-être, à la thématique plus convenue, toutes se révèlent également percutantes. Pourtant, peu accoutumée, donc, à cette forme littéraire, j’éprouvais à la fin de chaque texte une certaine gêne à entrer dans un nouvel univers, à faire connaissance avec de nouveaux personnages que j’allais bientôt quitter… une gêne  néanmoins fugace puisque j’ai dévoré ce livre d’une traite !  

C’est que l’auteur sait y faire. Elle nous ouvre les portes d’un monde qui nous semble au premier abord familier : celui d’un vide-grenier par une journée ensoleillée ou d’un quartier paisible de Paris où un personnage vient d’emménager. Parfois la situation est plus exceptionnelle, et plus dramatique aussi ; mais on est néanmoins dans un cadre bien circonscrit que l’on peut aisément se représenter, celui d’une prison ou du foyer d’un homme malade, en fin de vie. Pourtant, l’auteur distille très vite un sentiment d’étrangeté qui fait basculer une situation que l’on pensait parfaitement appréhender du côté d’un monde d’anticipation : ce ne sont plus notre environnement et notre vie que nous montre Frédérique Martin, mais ce qu’ils pourraient devenir si nous n’y changeons rien. 

Mais ce qui est particulièrement brillant, c’est la manière dont la tension monte crescendo. Plus on avance dans le livre, plus les tableaux qui nous sont présentés s’éloignent de nos repères familiers pour nous emmener vers quelque chose d’oppressant et d’effrayant qui n’est rien d’autre qu’une image de ce que pourrait être notre avenir. L’absurdité, le mensonge, l’âpreté au gain, l’individualisme, le rejet de l’autre, une forme d’aseptisation... tout cela conduit à une société toujours plus avilissante et menaçante pour ceux qui la constituent. L’une des dernières nouvelles nous entraîne dans un monde à la Orwell où chacun est scruté et sommé de faire son autocritique pour la sauvegarde de la communauté... 

Sans lourdeur aucune, avec au contraire une forme de dérision ou de décalage qui  lui permet de ne jamais sombrer dans un discours moralisateur, Frédérique Martin met en évidence les dérives d’une société qui crée les conditions de sa propre perte.  A la fois léger et inquiétant, parfois drôle et pathétique, ce recueil est d’une réjouissante acidité.

Lirai-je après cela d’autres nouvelles ? C’est possible. Une chose est au moins sûre, c’est que je lirai d’autres œuvres de cet auteur qui a su me séduire de la manière la plus inattendue !


Le billet de Jérôme m’avais mise en appétit ; Noukette et Nicole ont définitivement enfoncé le clou !
Sans oublier Clara !





36 commentaires:

  1. Il est dans ma PAL, je ne vais pas tarder à le lire. Et contrairement à toi, j'aime bien lire des nouvelles entre deux romans.

    RépondreSupprimer
  2. L'enthousiasme semble en effet être général autour de ces nouvelles (bien plus abordables semble-t-il que celles d'un certain Hongrois !) : je me laisserais bien tenter moi aussi...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Assurément plus accessible que Krasznahorkai !
      Mais surtout, on peut lire et aimer les deux ;-)

      Supprimer
  3. je ne suis pas une adepte des nouvelles par goût j'aime les grandes sagas romanesques ou les essais très argumentés
    pourtant dans ces temps accélérés la nouvelle est un genre qui trouve ou retrouve sa place, si j'ai bien lu ton commentaire la progression est en quelque sorte une sorte d'essai critique de notre présent projeté dans un futur orweillien...voire pire donc je vais le lire

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Une lecture facile à caser entre une saga et un essai !

      Supprimer
  4. Réponses
    1. Oh, Clara, excuse-moi ! Je rajoute le lien vers ton billet qui a également contribué à déclencher ma lecture !
      A force de d'aller d'un blog à l'autre, on finit parfois par s'y perdre...

      Supprimer
  5. J'aime les nouvelles, et celui ci me tentait plus que les romans de l'auteur (va savoir;..)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je me souviens d'avoir lu également des billets très élogieux sur ses romans, notamment Le vase ou meurt cette verveine, qui est un titre, je te l'accorde, un peu déconcertant...

      Supprimer
    2. j'ai lu Le vase... qui a bien plu à beaucoup, moi je suis restée un peu à côté, bien pour l'écriture, mais des côtés de l'histoire m'ont étonnée.

      Supprimer
  6. Comme toi, je ne suis à la base pas très fan de nouvelles mais les éloges répétés à propos de celles-ci vont bien finir par me faire craquer...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Fais comme moi, alors... craque, tu ne le regretteras pas !

      Supprimer
  7. Comme toi, je n'etais pas fan de nouvelles a priori, mais j'y prends de plus en plus goût aussi. Alors je note ce recueil qui a déjà pas mal tourné sur les blogs.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Franchement, je serais ravie de rejoindre le cortège des lecteurs qui l'ont apprécié pour te donner envie de le lire à ton tour !

      Supprimer
  8. Ravie s'il t'a réconciliée avec le genre ce recueil et à ta disposition pour continuer l'exploration ;-)

    RépondreSupprimer
  9. On a parfois de bonnes surprises en allant sur des terrains qui ne nous attirent pas particulièrement (c'est un peu ma spécialité d'ailleurs !). Ravi de t'avoir donné envie de te frotter à ce recueil en tout cas.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est tout l'intérêt des blogs que de nous amener à faire de telles découvertes ! Merci encore, Jérôme !

      Supprimer
  10. Ah c'est chouette de lire que tu l'as découverte sur les blogs. J'ai beaucoup aimé moi aussi

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ravie de ton passage ici, Stéphie !
      On fait plein de découvertes, en effet, sur les blogs, et c'est ce qui fait tout leur charme et leur intérêt !

      Supprimer
  11. Youpi !! Ravie que tu aies découvert la plume si percutante de Frédérique Martin ! Je l'adore !

    RépondreSupprimer
  12. Comme toi, je suis un peu plus réticente au genre de la nouvelle. Néanmoins, le titre m'amuse beaucoup ! J'ai vraiment aimé "Le vas où meurt cette verveine" de cette auteur.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Alors tu devrais vraiment tenter cette lecture ! Tu as toutes les chances d'être conquise !

      Supprimer
  13. déjà noté, je surligne maintenant !!!

    RépondreSupprimer
  14. Moi non plus je n'aime pas trop les nouvelles mais ce recueil me fait bien envie d'autant plus que j'avais beaucoup aimé le dernier roman de l'auteur !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est pas mal de changer de registre, de temps en temps ;-)

      Supprimer
  15. Tu sais que tous les avis lus à son sujet ne m'ont pas vraiment convaincue. Moi qui adooore les nouvelles, en plus! Mais ton billet me donne réellement envie de le découvrir à mon tour. Je craignais un univers (trop) loufoque. ça t'a donné envie de lire d'autres nouvelles?

    En passant, le recueil de nouvelle d'Agnès Desarthe "Ce qui est arrivé aux Kempinski" était très très bien aussi :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce n'est absolument pas loufoque ! Il y a un effet de distorsion vraiment étonnant. On est dans des univers à la fois familiers et étrangers. De moins en moins familiers et de plus en plus étrangers, en fait, à mesure qu'on avance dans la lecture. C'est progressif, et c'est ça qui est vraiment réussi !
      Quant à Agnès Desarthe, Nicole, une autre blogueuse m'en a parlé. Apparemment, c'est vraiment le nec plus ultra de la nouvelle ;-)

      Supprimer
    2. Merci pour tes explications supplémentaires, je pense me laisser séduire! Mais avant cela, il faut que je fasse diminuer un peu mon stock ;-) Bises

      Supprimer
  16. Le titre et la couverture laissaient présager un roman rigolo , comme quoi ... ;-) je le note, merci !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ravie de faire ta connaissance, Christelle !
      Rigolo, non pas vraiment... Mais ces nouvelles sont surprenantes et sacrément bien menées. Elles valent la lecture.

      Supprimer
    2. Ravie aussi ! je viens d'ajouter ton blog à ma liste de liens sur mon blog ! à bientôt !

      Supprimer
  17. Je ne suis pas trop nouvelles non plus mais il y a des exceptions :-)

    RépondreSupprimer