vendredi 12 novembre 2021

Illusions perdues

Livre I : "Les deux poètes"
Honoré de Balzac
Publié en 1837



Il aura suffi d’un film pour me redonner l’envie de lire Balzac, de me replonger dans ce siècle aussi passionnant qu’instructif, de retrouver ces phrases finement ciselées et ce regard d’une rare acuité posé sur la société.

Il faut dire que Xavier Giannoli est parvenu à restituer l’univers de l’écrivain, à retranscrire le formidable décryptage que ce dernier offrit de son temps en faisant admirablement écho aux vicissitudes du nôtre. A peine si l’anachronisme de quelques termes vient trahir la lecture contemporaine du roman que nous invite à en faire le réalisateur. 


Si l’on continue de lire les grands textes du passé, au-delà du témoignage qu’ils apportent d'une époque, de l’analyse qu’ils en font, sans parler de leur qualité littéraire intrinsèque, c’est qu’ils nous proposent une réflexion qui excède le cadre de leur création et dont la pertinence reste entière. Aussi ai-je voulu voir, à l’heure où la presse et l’édition connaissent de tels bouleversements, jusqu’à quel point ce qui a été si finement observé et disséqué par Balzac pouvait aujourd’hui encore nous éclairer.


Il faut d’abord savoir qu’Illusions perdues est constitué de trois livres, initialement publiés indépendamment les uns des autres et correspondant à trois époques différentes. Xavier Giannoli s’est concentré sur le deuxième, relatant l’arrivée à Paris du jeune poète Lucien Chardon, dit de Rubempré. Quant à moi, c’est à la première partie que je m’intéresserai aujourd’hui.

 

« Deux jeunes poètes », paru en 1837, a pour principal protagoniste Lucien, natif d’Angoulême, fils d’un ancien chirurgien des armées républicaines devenu pharmacien et d’une aristocrate désargentée miraculeusement sauvée de l’échafaud en 1793 par son futur époux. Privé des titres de noblesse de sa mère et ne bénéficiant d’aucune fortune léguée par son père, Lucien n’a rien à faire valoir. Rien, si ce n’est son amour de la poésie et sa jolie figure. Ceux-ci vont lui permettre d’être remarqué par madame de Bargeton qui, pour meubler l’ennui de son mariage avec une vieille baderne, tient quotidiennement salon, s'attachant à cette occasion à promouvoir les jeunes talents de la littérature.


Le sentiment d'insatisfaction de la belle Louise et le désir de gloire de Lucien ne tarderont guère à se traduire par un attrait mutuel, qui permettra à Lucien d'entrer dans le haut-lieu de la noblesse d’Angoulême. Mais obtenir de telles faveurs ne signifie pas pour autant être accepté par une aristocratie d’autant plus jalouse de ses privilèges et de son statut qu’elle en connaît désormais la fragilité. 

C’est cette société que nous dépeint Balzac avec autant de mordant que de clairvoyance. Ces personnages imbus d’eux-mêmes se révèlent des individus sans envergure, singulièrement dénués d’intelligence et d'élégance, s’interpellant par des diminutifs les ramenant à une condition bien étrangère à celle qu’ils prétendent être la leur. Quel ravissement de découvrir sous la plume de Balzac cette petite noblesse de province à la sidérante étroitesse d’esprit ! Combien sont savoureux la peinture des soirées données par madame de Bargeton et les dialogues qui y ont cours ! 


En contrepoint à la petitesse de cette société, Balzac brosse le portrait d'individus animés de la plus grande loyauté. Ces personnages ne sont autres que la soeur de Lucien, Eve, et son prétendant, David Séchard, qui est aussi le meilleur ami de Lucien. Tout l’enjeu évidemment sera de savoir si la vertu que partage avec eux Lucien résistera à sa soif de reconnaissance et de succès. 

A la fin de cette première partie, alors que le jeune homme est sur le point de quitter Angoulême pour gagner Paris, secrètement accompagné par madame de Bargeton, Balzac jette le doute dans l’esprit de son lecteur et annonce déjà ce qui va advenir dans la deuxième partie qui ne sera pourtant publiée que deux ans plus tard. 

Pour ma part, je n’attendrai pas autant de temps avant de m'adonner à la lecture d'« Un grand homme de province à Paris », et de plonger dans le monde tonitruant et triomphant du journalisme sous la Restauration...




12 commentaires:

  1. Je n'ai pas vu le film, mais je relirais volontiers quelques romans de Balzac. Ça me plaisait bien dans ma jeunesse.

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    1. Je ne m'étais pas non plus replongée dans Balzac depuis au moins 25 ans !

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  2. Je l'ai lu il y a bien longtemps, mais la sortie du film donne plutôt envie de le relire : tu as raison!

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    1. Je crois qu'on est nombreux à avoir eu cette envie-là en sortant du cinéma ;-)

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  3. Je n'ai lu que quelques romans de Balzac, et beaucoup aimé, mais pourtant je n'ai pas continué à le lire. Ce doit être le choix trop large qui m'arrête ! ;-)

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    1. Son oeuvre est tellement énorme qu'en dehors des spécialistes je doute que beaucoup de gens aient lu tout Balzac ! Quoi qu'il en soit, avec Illusions perdues on ne peut pas se tromper.

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  4. Je me suis également précipitée en librairie après le film car... je n'ai pas lu Illusions perdues figure-toi. Il est donc dans ma pile et je me réjouis de découvrir le texte entier car déjà, le récit de Titiou Lecoq, Honoré et moi m'avait donné grandement envie de lire ou relire Balzac.

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    1. Je n'ai pas lu ce bouquin. Pour ma part, il y a bien longtemps, j'avais la lu la bio qu'avait écrite Zweig. Je l'ai un peu (beaucoup, même) oubliée aujourd'hui, mais je me souviens que le bonhomme était fascinant... tout comme son oeuvre ;-)

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  5. Comme Keisha, je trouve que ce film réussi donne envie de se replonger dans le roman.

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  6. Mes échappées livresques13 novembre 2021 à 08:49

    Moi qui garde de très mauvais souvenirs de Balzac durant mon adolescence, le film m'a donné envie de lui laisser une autre chance.

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    1. Ah mais il ne faut pas hésiter, alors ! C'est vrai que tous les profs n'ont malheureusement pas l'art de transmettre la beauté et la richesse de nos grands classiques à leurs élèves...

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