dimanche 9 février 2020

Papa


Régis Jauffret

Le Seuil, 2020



Ecrire sur son père est sans doute l’un des exercices les plus difficiles qui soient. Trouver la bonne distance, le ton juste, ne sombrer ni dans l’hagiographie et la mièvrerie ni dans l’aigreur et le ressentiment selon le cas... 
D’après ses dires, Régis Jauffret n’aurait jamais imaginé faire du sien le sujet de l’un de ses romans. De père, il n’a pas le sentiment d’avoir jamais eu. Tout juste n’eut-il que «quelques miettes, une pincée de papa». Non que celui-ci eût quitté le foyer, abandonnant femme et enfant sans jamais se retourner ; non qu’il lui eût refusé son amour et se fût comporté avec cruauté à son égard. Mais atteint d’une surdité croissante qui se doubla d’une dépression, l’homme s’était peu à peu enfermé dans un silence et un isolement qui le rendaient inaccessible et qui priva à jamais l’enfant de toute possibilité de l’admirer. Ce n’est donc peut-être pas tant d’un père que le narrateur a manqué que d’une image idéalisée de celui-ci, de cette image que tout individu a besoin de se construire pour mieux pouvoir la briser au moment de prendre son envol.

Ce sont quelques brèves secondes d’un documentaire qu’il est en train de regarder à la télévision qui entraînent l’auteur dans cette improbable entreprise. Car c’est bien son père qu’il reconnaît au sortir d’un immeuble marseillais de la rue Marius-Jauffret, menotté, encadré de deux gestapistes, les traits déformés par la terreur. Bien que né après guerre, il n’a jamais entendu parlé d’un tel épisode le concernant. Et personne dans la famille ne semble plus informé. 
Ce père en retrait, ce père si ténu serait-il un héros de la Résistance ? Aurait-il au contraire dû une libération rapide à des révélations qu’il aurait faites sous la torture ? Evidemment, la première supposition serait préférable à la seconde. Mais, le cas échéant, pourrait-on vraiment lui en vouloir de n’avoir pas su encaisser la douleur ? Au moins y aurait-il une histoire, quelque chose qui donne une substance à ce père disparu depuis plus de trente ans.

L’auteur émet des hypothèses, convoque ses maigres souvenirs et, au besoin, en invente. Peu à peu, au fil des pages, l’écrivain façonne de ses mots les contours d’un père qui s’était toujours dérobé à lui, jusqu’à pouvoir, enfin, écrire ce mot qu’il n’avait jamais pu prononcer : Papa.

Le texte est intéressant, et la démarche ne l’est pas moins. J’aimerais pouvoir dire que ce livre m’a touchée. Peut-être parce que c’est la pâte de l’écrivain (mais je ne saurais l’affirmer puisque c’est la première fois que je le lisais), peut-être parce que les mots ne suffisent pas toujours à réduire la distance qui s’installe entre les êtres, j’ai trouvé ce texte très froid, trop cérébral pour laisser place à une quelconque émotion. Sans doute était-ce la volonté de l’écrivain. Mais la lectrice que je suis aurait aimé pouvoir éprouver un tout petit peu d’empathie...

9 commentaires:

  1. Je suis quand même curieuse... en fait, je suis curieuse de savoir ce qui a pu arriver. Plus que de lire le roman.

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  2. "Très froid, trop cérébral", c'est bien l'idée que je me fais de cet auteur et je n'ai jamais eu envie de le lire.

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    1. C'est vrai que c'est assez l'idée que j'en avais aussi. Ceci dit, sur d'autres types de sujet, je tenterais bien le coup...

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  3. Je suis un peu comme Aifelle, absolument pas attirée par cet auteur dont je n'ai rien lu. Et ce n'est sûrement pas avec un texte autobiographique que je commencerais.

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    1. Effectivement, ce n'est sans doute pas le texte le plus représentatif de l'auteur. Il paraît que ses microfictions, notamment, sont géniales !

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  4. Pas tentée non plus, d'autant plus après avoir lu ton ressenti.

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  5. De Jauffret je n'aime que les micro-fiction, c'est vraiment un exercice dans lequel il excelle.

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