dimanche 11 mars 2018

Fugitive parce que reine

Violaine Huisman

Gallimard, 2018



Je ne remercierai jamais assez les 68 Premières fois qui, à chaque nouvelle saison, m’offrent de découvrir des textes à côté desquels je serais peut-être passée et qui suscitent en moi des émotions d’une rare intensité. Ainsi en a-t-il été de Fugitive parce que reine, dont le titre aussi mystérieux que poétique avait néanmoins déjà attiré mon attention.

Quelle écriture ! Quelle force dans cette évocation d’une mère outrancière, monstrueuse,  et pourtant si touchante et débordant d’amour pour ses deux filles. 

Dans ce roman d’inspiration autobiographique, l’auteure revient sur son enfance, qui ne fut pas des plus conventionnelles, loin s’en faut! Le livre s’ouvre sur la disparition soudaine  de cette femme qui, ayant sombré dans la dépression, fut internée plusieurs mois durant, laissant un vide incommensurable derrière elle. Deux petites filles de 10 et 12 ans se trouvent soudain privées de celle qui occupait tout l’espace, le moindre de ses gestes, la moindre de ses paroles prenant toujours une ampleur démesurée. Comment faire face au vide, à l’abîme ouvert par cette absence ?  

Cette question n’est que le lointain écho de celle qui ressurgit des années plus tard et à laquelle il est désormais impossible d’échapper, lorsque la disparition cette fois sans espoir de retour survient, présidant à la naissance de ce livre.

Violaine, la narratrice, dit les excès de cette mère qui n’hésite pas à envoyer ses filles «se faire foutre» lorsque les petites expriment une idée allant à l’encontre des siennes, qui leur fait part, sans filtre et dès leur plus jeune âge, du moindre de ses états d’âme, mais qui est capable aussi de les couvrir sans fin de baisers et de partager avec elle des déclarations d’amour enflammées. 
Violaine dit les colères homériques, elle dit les jugements définitifs portés à l’encontre de ceux qui lui sont le plus proches, en premier lieu sa propre mère, dont elle dresse un portrait sans appel. Elle dit les paroles blessantes, elle dit les excès de langage. Mais elle évoque aussi les failles, les instants de détresse. Elle dit l’inversion des rôles, lorsque les fillettes cachent aux adultes qui pourraient s’en inquiéter les défaillances de leur mère. Et elle dit surtout ce lien viscéral, animal, indéfectible qui les unit.

Mais au-delà de ses souvenirs et du portrait d’une mère plus que troublante qu’ils composent, Violaine veut dessiner celui de la femme, Catherine. Aussi l’auteure décide-t-elle à mi-chemin de son livre de reprendre toute son histoire, mais en la mettant à distance, modifiant alors le regard porté sur elle.

Dans l’une comme dans l’autre partie de ce récit, on retrouve la même force. Il fallait cette démesure, ce flot ininterrompu de l’écriture pour restituer l’incroyable énergie, la beauté et la singularité de ce personnage. Malgré la violence des mots, il ne faut pas leur opposer de résistance. Il faut se laisser happer par eux, accepter d’être bousculé, heurté, se laisser porter par le rythme impétueux de ce texte pour faire corps avec cette femme fascinante, aussi irritante que touchante. Pour ma part, j’en ai été bouleversée comme il m’arrive rarement de l’être.



Apprendre à lire, Sébastien Ministru, Grasset       
Ariane, Myriam Leroy, Don Quichotte
Celui qui disait non, Adeline Baldacchino, Fayard
Eparse, Lisa Balavoine, Jean-Claude Lattès
Fugitive parce que reine, Violaine Huisman, Gallimard
L'attrape-souci, Catherine Faye, Mazarine
L'homme de Grand Soleil, Jacques Gaubil, Paul & Mike
La nuit introuvable, Gabrielle Tuloup, Philippe Rey
Les déraisons, Odile Doultremont, Editions de L'Observatoire
Les rêveurs, Isabelle Carré, Gallimard
Pays provisoire, Fanny Tonnelier, Alma
Seuls les enfants savent aimer, Cali, Cherche-Midi






31 commentaires:

  1. C'est aussi un livre qui m'a énormément touchée et qui je pense va me marquer durablement.
    J'aime que tu soulignes la construction habile avec la mise à distance qui donne une sacrée force au texte. Et que dire de l'écriture...

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    1. Franchement, chapeau ! Pour un premier roman, quelle maîtrise narrative et quelle force !

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  2. J'ai déjà lu sur ce genre de sujet, je ne vais pas me précipiter.

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    1. Disons que là, c'est vraiment l'écriture qui fait la qualité et la force du roman. Personnellement, j'ai rarement lu un texte de cette teneur-là...

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  3. Un roman dans la sélection 2018 du prix Robles
    https://www.lanouvellerepublique.fr/blois/la-selection-du-prix-emmanuel-robles-devoilee-a-blois

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    1. Et tu l'as lu, du coup ? Fais-tu partie du jury ? Je ne me souviens pas avoir vu passé de post sur ton blog...
      En tout cas, je viens d'aller voir le lien. J'en ai lu trois sur les six. Pour moi, ça ne fait aucun doute.
      Et je ne connaissais pas ce prix, mais les premiers romans ont vraiment le vent en poupe !

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    2. Non, non, je suis ce pris car j'habite le département. Une année j'avais fait partie d'un des groupes de lecteurs et assisté à la remise du prix. (avec des centaines de personnes!). Mais les choix sont souvent originaux, et les primés de bonne qualité.

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    3. Démarré, abandonné, désolée. Bon style et tout ça, mais fatiguée d'avance! ^_^ Un peu comme Kathel, mais j'ai essayé.

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    4. Il fait partie de ces livres dont on sait qu'ils ne plairont pas à tout le monde. Et surtout, c'est une écriture à la quelle on adhère, par laquelle on se laisse emporter, ou qui vous laisse à quai... Dommage. Mais, comme tu dis, tu as essayé.

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  4. Je n'en peux plus des romans (plus ou moins autobiographiques et thérapeutiques) sur des mères imparfaites, dépressives, fantasques, ou autres...
    Quand je suis sûre que je n'aimerai pas, je passe même si tous mes blogs de référence adorent !

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    1. Comme toujours, sur ce genre de sujet, c'est l'écriture qui fait la différence. J'en ai lu quelques-uns (pas tant que ça) et quand c'est réussi, il y a une telle puissance, une telle émotion et une telle sincérité que c'en est stupéfiant.
      Et puis je trouve ça rassurant que des mères imparfaites, pour reprendre ton terme, n'empêchent pas leurs enfants finalement de s'émanciper - même si c'est dur - et de devenir des personnes pleines de talent ;-)

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  5. J'ai prévu de le lire : le sujet me parle, le titre est absolument magnifique et ton billet ne fait que renforcer mon envie !

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    1. Ah ! Ça me fait super plaisir ! Je trouve aussi ce titre absolument superbe... et le texte qui se cache derrière l'est tout autant :-))
      Très belle lecture à toi

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  6. Je l'ai reçu dans le cadre du Prix Orange, je n'ai pas encore eu le temps de le découvrir, préférant privilégier certains que l'on voit moins fleurir mais en te lisant, je regrette un peu. Mais j'aurais peut-être le temps de me rattraper.

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  7. Tu as l'air totalement sous le charme mais je pense que ce n'ai vraiment pas un roman pour moi.

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    1. A dire vrai, je ne le pense pas non plus... mais on a parfois de (bonnes) surprises :-))

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  8. Pas un livre sur lequel je me serais précipitée, mais je ne vois que des billets très positifs...le sujet me rappelle un peu Rien ne s'oppose à la nuit, et les livres de Justine Levy...

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    1. Tu ne crois pas si bien dire, Eva ! J'ai effectivement pensé à Rien ne s'oppose à la nuit en finissant ce livre. Et tout cas, j'ai fini dans le même état : submergée par l'émotion.

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  9. Je serais sans doute passée à côté aussi ! Mais tu en parles avec tellement de passion que tu donnes envie !...

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    1. Hé hé, c'est fait pour :-))
      Belle et bonne lecture, alors...

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  10. Déjà, ce titre m'attire, mais je n'étais pas très au courant du contenu. Ce livre me plairait très certainement. Merci pour ton coup de coeur que j'emporte pour mon petit bilan ! ;)

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    1. Ravie d'avoir attiré ton attention sur ce roman qui m'a bouleversée. :-)

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  11. Ayoye,je pensais que c'était l'histoire d'une reine de france qui avait dû s'exiler... j,étais vraiment à côté de la track, je pense! Ce thème-là m'intéresse beaucoup plus.

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    1. Ouh là ! Oui, en effet :-))
      Je te le recommande chaudement, donc !

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  12. Quel livre, gros coup de coeur pour ce livre. ET pourtant, je n'ai pas aimé la première partie, j'ai même failli abandonner. Mais après, je n'ai pas pu le lâcher, complètement saisie, c'est rare! Et l'écriture est absolument sublime.

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    1. Oui, sublime. Pour ma part, elle m'a emportée dès les premiers mots.

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  13. Comme toutes celles qui ont aimé, je fus tentée d'abandonner en lisant la première partie (DeVigan, Levy) la suite m'a séduite, grâce au style.
    Les victimes aiment toujours leurs bourreaux; devenir écrivain, lorsqu'on a été malmené est peut être l'apanage de ceux qui n'ont pas connu de problèmes d'argent.
    danielle

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    1. Pour ma part, j'ai été immédiatement séduite ;-) Comme je l'avais été par De Vigan, du reste.

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  14. Ton billet est très convaincant ! Et ce titre ! Je pense qu'il va faire partie de mes lectures estivales...

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    1. Excellent choix :-) Vraiment un de mes livres préférés de la saison écoulée !

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