samedi 7 février 2015


Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?

Pierre Bayard

Collection «Paradoxe», Minuit, 2015

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A mi-chemin de la critique littéraire et de la fiction, s'appuyant sur des concepts philosophiques et sur des analyses linguistiques, Pierre Bayard offre une étonnante lecture d'une œuvre d'Alexandre Dumas.

Etonnant objet que ce texte qui se situe à la croisée de l’analyse littéraire, du roman et de la philosophie ! J’avoue avoir été intriguée par la quatrième de couverture, qui rendait compte de la volonté de l’auteur d’entrer dans un roman de Dumas pour en modifier l’issue et sauver ainsi son héroïne, qui avait fait rêver ses jeunes années. Au-delà du caractère surprenant du projet, ayant moi-même été une fervente lectrice de Dumas - et même si je n’ai pas lu Le chevalier de Maison-Rouge, dont il est question ici -, voilà qui ne pouvait que me séduire !

Or, l’auteur ne se contente pas d’entrer dans le roman pour prendre la place du héros et d’en réécrire le texte, ce qui n’aurait somme toute pas été d’un grand intérêt. Transporté à l’époque de la Terreur, il est soumis à des dilemmes d’ordre moral, ce qui peut arriver à tout un chacun, et se voit contraint de s’interroger sur sa conduite dans un contexte où l’on pouvait très vite se retrouver sur l’échafaud. Des questions essentielles, telles que «dois-je obéir à la loi», «dois-je respecter mes principes sans me préoccuper des conséquences que ceux-ci pourraient entraîner» prennent ici un caractère très aigu. 
Tout l’intérêt de ce livre, à mon sens - c’est en tout cas ce qui m’a personnellement touchée et intéressée -, c’est que ces questionnements reposent sur l’étude et le cas d’un roman. Il en révèle ainsi toute la portée et indique à quel point l’attitude des personnages peut interroger le lecteur, qui, de ce fait devient acteur de sa lecture (ce livre en est d’ailleurs une sorte d’illustration paroxystique !). Il révèle tout ce qui fait la force, l’intelligence et le pouvoir de la littérature.

En outre, et c’est ce que Pierre Bayard met merveilleusement en lumière, cette étude souligne l’importance du choix des mots ; s’appuyant sur certains dialogues de l’ œuvre de Dumas qu’il retranscrit dans son propre livre, il explique la manière dont le sens se transmet d’un individu à un autre. Une phrase n’est pas une simple juxtaposition de mots : le choix d’un terme plutôt qu’un autre, bien sûr, mais aussi les intonations, le contexte, la gestuelle peuvent en modifier le sens. En fonction de l’ensemble de ces données plus ou moins perceptibles et soumises à interprétation, les personnages peuvent donc emprunter des voies contraires.

En endossant simultanément les rôles de personnage de roman, de commentateur de l’oeuvre, de linguiste et, je dirais, de professeur de philosophie, Pierre Bayard propose un étonnant petit livre d’une rare densité. Il invite à la réflexion en apportant un éclairage passionnant sur la littérature et notre rapport au texte et au langage. 
Une tentative littéraire remarquable de la part d’un universitaire enseignant les lettres, dont j’aurais sans doute volontiers suivi les cours si j’étais encore étudiante !

Je remercie vivement Babelio et les Editions de Minuit qui m’ont adressé ce livre, et sans lesquels je n’aurais peut-être pas lu ce texte aussi intéressant qu’original dans sa démarche !




4 commentaires:

  1. Pierre Bayard est un habitué du genre. Il a réécrit à sa maniére le 1er roman d'Agatha Christie, "le meurtre de Roger Ackroyd" sous le titre "Qui a tué Roger Ackroyd?"... Il a aussi résolu l'énigme d'Hamlet (qui a tué le père?) dans un autre de ses ouvrages et sur Hamlet c'est vraiment impressionant...
    Cordialement.

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    1. Effectivement, j'ai vu sa biblio. C'était le premier livre que je lisais de lui.

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  2. Très tentant ... mais je crois que je préfèrerais lire "Le Chevalier de Maison Rouge" avant (un Dumas que je n'ai pas lu).

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    1. C'est sûr que c'est mieux ! Mais ne pas l'avoir lu n'empêche pas de lire et d'apprécier ce livre-là.

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