samedi 3 janvier 2015


Le bonheur national brut

François Roux

Albin Michel, 2014

☀ ☀


Un roman très agréable, qui se lit comme on reverrait un film des années 80. 

De 1981 à 2012, de l’élection d’un président socialiste à l’autre, à travers les destinées de quatre copains, c’est tout un pan de notre histoire la plus récente que déroule François Roux.
De facture on ne peut plus classique, ce roman aura pour certains le parfum suave des souvenirs d’enfance. En l’occurrence, ces quatre personnages, que l’on découvre l’année de leur bac, n’ont que six ou sept ans de plus que moi. C’est dire si ce qui est raconté a eu pour moi la saveur incomparable d’une petite madeleine...

Construit en deux parties, le roman juxtapose deux périodes séparées par une ellipse temporelle de 25 ans rendant d’autant plus aiguë la césure, voire la fracture, qui s’est opérée entre elles. En effet, au-delà de l’évolution naturelle des personnages passés de l’état d’adolescents indécis pour les uns ou pleins de confiance en l’avenir pour les autres à celui d’hommes murs ayant tracé leur sillon, c’est un changement plus profond qui est ainsi mis en évidence. 
Si l’insouciance, l’espérance et la légèreté sont de mise dans la première partie, ce n’est pas uniquement parce que les héros sont de tout jeunes gens. Cela correspond aussi à une époque, celle qui suit les Trente glorieuses, qui, en dépit des chocs pétroliers et du chômage qui commençait à se révéler préoccupant, se caractérisait encore par un relatif espoir en l’avenir et une certaine propension à «jouir sans entraves», dont l’apparition du sida n’allait pas tarder à sonner le glas. 
Le ton est plein de verve, l’humour omniprésent. Les références à des objets, des publicités ou des personnalités aujourd’hui oubliés qui émaillent le texte sont autant de joyeuses étincelles qui feront resurgir des tréfonds de leur mémoire de tendres souvenirs aux lecteurs quadragénaires... Je ne vous révèlerai pas en quelles circonstances sont convoquées les icônes de l’aérobic que furent Véronique et Davina, mais sachez que l’évocation de leur inénarrable Tou tou you tou vaut le détour ! 

Cette première partie se clôt cependant sur un climat plus sombre, augurant déjà l’aube d’une nouvelle époque. Tandis que le sida fait ses premières victimes, que le vote d’extrême droite atteint les 10 % et que l’art apparaît de plus en plus comme une valeur marchande dépouillée de toute valeur intrinsèque, annonçant la suprématie de l’argent-roi, nos  quatre héros tentent tant bien que mal de se défendre des vicissitudes de l’existence dans un grand éclat de rire encore complice...
Rideau. 

Le ton de la seconde partie est d’emblée plus feutré. Tanguy, Rodolphe, Paul et Benoît ont vieilli, bien sûr. Certains ont fondé une famille, joué la carte de la réussite professionnelle ; tous s’interrogent sur le bien-fondé de leurs choix... Au-delà de ces questionnements intimes bien légitimes à cette période de la vie, leurs fêlures sont exacerbées par le tournant pris par la société.
Le règne de l’image, du marketing et surtout de la finance les pousse à commettre des actes dont ils essayent avec plus ou moins de succès de se convaincre du bien-fondé.
C’est un tableau plus sombre que dépeint François Roux. Harcèlement moral, évasion fiscale, politiciens carriéristes en constituent quelques-unes des touches les plus saillantes...

François Roux ne prend pas vraiment parti, il ne fait pas de critique, ni même de satire sociale, ce que certains pourront regretter. Il faut prendre cet ample roman pour ce qu’il est : une fresque fort agréable à lire, à l’issue de laquelle on s’interrogera avec l’auteur : comment trouver son propre bonheur dans un tel contexte ? Et d’abord, qu’est-ce que le bonheur ? Des questions auxquelles chacun apportera ses propres réponses...

9 commentaires:

  1. Il est sur ma PAL, il y reste pour le moment mais son tour viendra sûrement...

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    1. Il sera parfait quand tu auras envie de te plonger dans un bouquin facile à lire, qui t'entraîne dans le sillage de personnages que tu accompagnes sur plusieurs décennies... Classique, mais très agréable !

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  2. Tu en parles très bien, tu décris assez bien le roman que j'aurais voulu lire, mais comme tu le sais ça n'a pas fonctionné pour moi, pas totalement en tout cas...

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    1. Je n'avais pas d'attente démesurée par rapport à ce livre, que je pressentais très classique dans son écriture. J'espérais simplement y retrouver l'ambiance d'une époque, ce qui a été le cas. Je pense que c'est pour ça que ça a fonctionné pour moi...

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  3. Je n'ai pas trop envie de me lancer dans ce genre de lecture en ce moment, j'ai une impression de déjà lu.

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    1. C'est certain que ce livre ne révolutionnera pas la littérature française et que ce n'est pas une lecture incontournable. Mais dans son genre, je le trouve qu'il est plutôt honorable...

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  4. Après avoir lu le billet de Papillon (qui s'ajoutait à d'autres avis pas emballés), je l'ai rendu à la bibliothèque... mais c'était aussi parce que je traversais une passe où pas grand-chose ne m'accrochait, donc je me suis méfiée (même si j'avais effectivement noté l'humour dans les quelques pages que j'avais lues). Ton avis est bien plus positif, cette lecture ne t'a pas ennuyée, en tout cas.

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    1. Pas le moins du monde, au contraire ! Mais, comme je le disais notamment à Papillon, c'est une lecture-détente qui me semble remplir très bien son office, mais dont il ne faut pas attendre un éblouissement !

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