mardi 30 novembre 2021

La plus secrète mémoire des hommes

Mohamed Mbougar Sarr
Philippe Rey/Jimsaan, 2021

Prix Goncourt 2021




A moins que vous n’habitiez sur la planète mars, vous savez que ce roman est le lauréat du prix littéraire le plus convoité de notre pays et en connaissez sans doute de ce fait déjà les grandes lignes. 

Des Goncourt, j’en ai lu quelques-uns, et parfois de très bons. Mais la plupart du temps, je n’avais pas attendu qu’ils soient ainsi distingués pour les lire, ce qui avait évité à ma lecture d’être parasitée par toutes sortes de commentaires et formules outrageusement laudatifs. Mais puisque ce n’était pas le cas cette fois, je partais dans l’idée que j’allais avoir affaire à un texte dense, dans lequel il serait peut-être difficile de pénétrer et qui alliait une intrigue aux accents policiers à une réflexion sur la littérature. Programme alléchant s’il en est.


Sans doute parce que j'avais été amplement prévenue, je n’ai en fait eu aucun mal à me glisser dans ce roman et j’ai été assez vite séduite par son style mêlant élégance et familiarité, empreint d’érudition sans pourtant se départir de subtiles notes d’humour. Un atout certain pour ne pas se perdre dans le labyrinthe où nous entraîne le narrateur…


Car la construction du roman est assez sophistiquée. On passe d’une époque à une autre, d’un locuteur à un autre, tandis que lettres et articles viennent entrecouper la narration, le tout afin de percer le mystère auréolant la figure d’un certain T.C. Elimane, auteur africain d’un roman ayant connu à la fin des années 30 un immense succès, avant d’être accusé de plagiat et d’être éreinté par la critique, suite à quoi il disparut purement et simplement. 


Au début du roman, le jeune écrivain Diégane Faye se trouve en possession du seul exemplaire subsistant du Labyrinthe de l’inhumain. Son admiration est telle qu’il entreprend une véritable enquête pour retrouver la trace de l’auteur disparu et comprendre ce qu’il s’est réellement passé. Ainsi est-il confronté aux questions de la réception d’un écrivain noir, africain, par le public et l’intelligentsia français, de la place accordée par un pays colonisateur au peuple qu’il asservit et du rôle que peut jouer la littérature au coeur de cet effroyable maelström de tourments qu’est le monde. 


Pour être tout à fait franche, j’ai ressenti au cours de ma lecture quelques moments de lassitude, les tours et détours empruntés par le récit m’ayant parfois paru un peu démesurés, voire peut-être un peu affectés. (Notons toutefois l’excellent travail de l’éditeur qui avait à l’origine reçu un manuscrit beaucoup plus épais et a invité l’auteur à trancher dans le vif.) Sans doute s’agit-il là du défaut des qualités du livre, ambitieux, qui s’efforce d’embrasser de nombreuses réflexions.


Il n’en reste pas moins que ce roman est pertinent, passionnant dans les questionnements qu’il aborde, notamment sur la place de la littérature, et, je le répète, écrit d’une plume extrêmement maîtrisée. Un très honorable Goncourt, en somme.


16 commentaires:

  1. Malgré tout ce que j'entends sur ce roman, je suis hésitante, je ne suis pas sûre qu'il me conviendrait. Je l'emprunterai à la bibliothèque quand la ruée se calmera.

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    1. La ruée risque de durer un petit moment... Mais pas grave, comme je dis toujours, il n'y a pas de date de péremption ;-)

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  2. Il va falloir attendre après tous les lecteurs de médiathèque qui se sont jetés dessus à cause du prix. J'avoue que je suis attirée aussi. L'année dernière j'avais lu LeTellier 'avant' mais le livre était disponible...
    Bref, si le livre est bon, il le restera dans quelques mois. Le masque et la plume en ont parlé dimanche dernier.

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    1. J'avais également lu le Tellier avant, et je ne lui avais pas trouvé grand intérêt. Là, je trouve que l'on est un bon cran au-dessus. Tant au point de vue du fond que du style.

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  3. Je fais partie de ceux qui l'avaient lu avant et qui espéraient bien que les jurés allaient le choisir. Pour la langue, pour son ambition et pour son propos. Pour l'intelligence pétillante de l'auteur aussi. Il correspond à l'idée que je me fais d'un prix Goncourt.

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    1. C'est sûr que c'est un peu plus excitant que certains crus plus anciens...

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  4. Malgré mon admiration pour De purs hommes lu en octobre, je suis un peu méfiante pour celui-ci : les recherches sur des écrivains imaginaires, les documents intercalés, le foisonnement, cela ressemble à bien des lectures qui ne m'ont pas beaucoup "parlé"...

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    1. Ah oui ? Malgré mes petits bémols, j'ai trouvé ce roman assez original.

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  5. J'ai assisté à une rencontre avec l'auteur hier et je suis émerveillée devant son rapport à la littérature. Il vit littérature et il a des réflexions très pertinentes. Pour ne rien gâter,il est d'une extrême gentillesse. Quant au livre, je l'ai lu en septembre et je ne fais qu'en parler depuis �� Il est évident que mon calendrier de l'avent littéraire ne se fera pas sans lui !

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    1. Il fait en effet partie des personnalités que l'on prend plaisir à entendre s'exprimer (même si pour ma part, je n'ai entendu qu'à travers les medias).

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  6. Tu sembles un peu déçue. Je n'ai pas voulu l'acheter et l'ai réservé à ma BM. Depuis, j'attends.

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    1. Disons que quand on entend beaucoup parler d'un livre, l'attente est colossale...

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  7. ce n'est que le 2e avis que je lis sur ce roman. Je l'ai réservé à ma BM, j'ai hâte et je redoute en même temps.

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    1. C'est toujours un peu gênant de lire un livre qui est l'objet de tant de bruit. Mais c'est la dure condition du Goncourt :-D

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  8. Merci pour cet article qui va peut-être me décider à le lire, j'ai un peu d'appréhension à lire ce Goncourt car j'ai entendu tout et son contraire à son sujet (génial, incompréhensible, trop sophistiqué...) La quête d'un auteur disparu, l'accueil d'un écrivain noir dans la littérature française, tout cela me fait penser au Voyant d'Etampes (j'ai vu que tu ne avais trouvé le livre d'Abel Quentin trop "lisse", et j'avoue que je suis pas de cet avis :o j'en ai aussi parlé dans mon blog si ça t'intéresse!)

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    1. Le mieux est donc de te faire ton propre avis ;-)
      Quant à ton avis sur Le voyant d'Etampes, je vais aller voir ça.

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