vendredi 21 février 2020

Love me tender

Constance Debré

Flammarion, 2020



Les mots peuvent-ils faire rempart au monde ? La littérature peut-elle permettre de se forger une carapace inexpugnable ? 
C’est ce que semble avoir entrepris Constance Debré. Après avoir rompu toutes ses attaches - mari, travail, appartement - pour, quoi ? rejeter tout ce qui pouvait lui apparaître comme un diktat social afin de vivre selon ses propres valeurs ? elle a choisi de revendiquer son homosexualité et de se consacrer à l’écriture. 

Quelle est vraiment la nature de ce choix ? Tant son écriture que sa manière d’assumer et de vivre son homosexualité semblent émaner de son rejet des normes sociales et de sa volonté farouche de s’en extraire. Vivre au jour le jour, sans un sou en poche, ni toit sous lequel passer la nuit, ni relation affective stable sur lesquels se reposer, grâce auxquels souffler. Souffler ? Mais c’est justement cela qui constitue à ses yeux une aliénation, c’est cela qui l’empêche de vivre. De ces entraves, elle s’est libérée, et elle assume sans ciller les revers et la violence qu’une telle décision ne manque pas d'engendrer.

Sauf que. Sauf qu’il y a Paul. Son fils de 10 ans, que son ex va couper d’elle, sa mère. Ce lien-là aussi, il va lui falloir l'arracher, le sectionner, le cisailler. A force de courage. A coups de phrases sèches. Se contraindre à désaimer. Pour ne pas souffrir. Pour ne pas tomber en chemin. Pour pouvoir vivre comme elle l’entend. Ce texte, pour faire « dénaître » son fils.

Honnêtement, ce livre, j’y allais à reculons. Cette écriture dont je croyais avoir suffisamment entendu parler pour entrevoir les mots crus cherchant le contact direct, refusant de faire écran, cette économie de moyens visant à réduire l’effet à néant, cette recherche forcenée d’annihiler toute émotion, ce n’était pas pour moi. 

Croyais-je. 

Il faut pourtant un putain de courage pour faire ce qu’elle a fait. Car la douleur est là, contenue, domptée, dominée, muselée. Grâce à l’écriture qui lui tient lieu de logis et de raison de vivre. Avec ces mots qui se dressent comme autant de boucliers. Des mots qui laissent pourtant à de rares instants entrapercevoir les entrailles à vif. Mais des instants brefs, à peine perceptibles, car Constance ne cesse jamais de s'en remettre à la seule chose qui vaille à ses yeux : la puissance des mots et des phrases. 

Alors c’est vrai, je me suis fait violence pour entrer dans ce récit. J'ai été empoignée, harponnée, je me suis sentie malmenée. Mais à aucun moment je n’aurais pu le lâcher. LA lâcher. De toute évidence, ce style et ce texte n’ont pas vocation à séduire. Ce sont leur force et leur puissance rares qui en font tout le prix.


Pour ceux que ça intéresse, Constance Debré sera jeudi 27 février à la librairie La Manoeuvre, 58 rue de la Roquette, à Paris.

13 commentaires:

  1. J'hésite beaucoup à la lire et pourtant quelque chose m'attire aussi dans sa démarche. Et de ce que j'ai pu comprendre à travers les interviews, ce qu'on lui a fait vivre pour s'échapper des normes est franchement dégueulasse (désolée, je ne trouve pas d'autre mot).

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    1. Ecoute, ce sont un peu les circonstances qui ont placé ce livre entre mes mains. Je n'avais pas vraiment envie de le lire - comme je n'avais pas eu envie de lire le premier - si ce n'est par curiosité littéraire, pour savoir vraiment de quoi il retournait.
      Et je ne peux pas dire mieux que ce que j'explique dans mon billet, mais j'ai vraiment été saisie par la nature de son projet littéraire, à caractère vraiment existentiel. J'ai rarement vu une démarche aussi entière, comme un sacerdoce. Oui, il y a quelque chose de cela : se mettre en retrait de la société, renoncer à vivre selon ses règles pour s'en remettre à la seule littérature. Quoi que l'on puisse penser de son texte, c'est quand même quelque chose qui ne peut pas laisser indifférent, qui ne peut pas ne pas nous interroger. En tout cas, en ce qui me concerne, ça m'a vraiment touchée.
      Tu sembles hésiter, et je t'invite sincèrement à le lire. Pour te faire ta propre idée.

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  2. En fait, je ne ferai pas l'effort de réessayer après Play Boy qui m'a vraiment énervée, dans la forme comme dans le fond. Je me suis demandé si on l'aurait publiée sans son patronyme et l'attrait du buzz (qui fut, d'ailleurs). Alors peut-être que celui-ci est mieux...tant pis, je vivrai sans ;-)

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    1. Il est possible que je réagirais de la même manière que toi si ayant lu le premier, il ne m'avait pas convaincue. Il y a quelque chose de très fort dans ce récit qui transcende tout.
      Pour ma part, je suis vraiment contente d'avoir dépassé mes a priori.

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  3. Absolument pas attiré par ce livre, mais j'admire ta curiosité intellectuelle sur ce coup-là ;)

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    1. Je crois que je m'ennuierais ferme si je lisais toujours des livres du même registre !

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  4. J'hésite, j'hésite... il y a de bons commentaires mais je suis un peu lassée de toutes ces histoires personnelles. On verra.

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    1. C'est plus qu'une histoire personnelle. Il y a vraiment un rapport à la littérature unique en son genre et une force exceptionnelle.

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  5. j'étais très mitigée après avoir lu Play-Boy (trop de provoc, d'attitude, pas assez de profondeur), mais j'ai trouvé celui-ci vraiment très bien et très beau, son écriture a gagné en maturité, j'ai été touchée.
    ps : tu écris putain dans tes chroniques, toi ;D

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    1. Au vu des différents commentaires, je me dis que ce n'est pas plus mal que je n'aie pas lu le premier avant. Peut-être aurais-je alors renoncé à lire celui-ci. En revanche, j'ai désormais bien l'intention de le lire...

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  6. Je l'ai vue à une émission de télévision. Beaucoup de force chez elle, oui. Mais faut-il tout détruire pour se construire ? C'est une question à laquelle il est bien difficile de répondre.
    Bonne journée.

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